« Tenir toutes ses promesses » tel est l’engagement difficile pris dimanche 8 février par le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, devant le nouveau Parlement grec. Pendant son discours de politique générale, Tsipras a répété que la Grèce veut rester dans la zone euro et « servir sa dette », en « invitant ses partenaires » à « venir à la table des négociations pour discuter du moyen de la rendre viable ». Les réactions du peuple grec à ce discours1 sont positives : plusieurs sondages publiés mardi dans la soirée ont montré qu’entre sept et huit Grecs sur dix l’avaient apprécié. Et parmi eux, donc, des électeurs n’ayant pas voté pour Syriza. Par ailleurs, 75 pour cent des interrogés soutiennent la position du gouvernement face à ses créanciers. Au parlement, le gouvernement d’Alexis Tsipras a obtenu dans la nuit de mardi 10 à mercredi 11 février le vote de confiance à l’issue duquel le parti de gauche radicale va pouvoir appliquer son programme consacré à l’urgence sociale et entamer des négociations serrées avec les responsables européens.
Mais la vraie vie n’est pas dans les chiffres. Elle est dans le quotidien : Est-ce que tu travailles ? Est-ce que tu gagnes assez pour subvenir à tes besoins ? Est-ce que tu es assuré ? Les Grecs, nous aimons beaucoup discuter, même avec des inconnus : à l’arrêt de bus, à la salle d’attente chez le médecin, au marché – partout ! – et depuis trois semaines toutes les discutions sont d’ordre politique, car tout le monde à quelque chose à dire. Et, pour le moment, le vrai changement depuis que Syriza est au pouvoir est précisément la politisation de la vie quotidienne. Si dans les hautes sphères internationales où se prennent les décisions, l’économie semble encore prévaloir sur les choix démocratiques, dans l’espace public grec au contraire, la souveraineté populaire a repris une place qui ces dernières années avait adopté des allures purement théoriques.
Je suis allée au marché pour ce carnet grec car « tout dépend des marchés » – ceux qui remplissent les frigos des familles et ceux qui décident des politiques européennes à venir. Et, l’humour ne manquant pas, cette semaine certains marchands disaient que c’est peut-être la dernière fois que leurs clients trouveraient des produits importés. Car la préoccupation qui – quoi que l’on dise – persiste est celle du maintien ou non de la Grèce dans la zone euro. Est-ce que la semaine prochaine les Grecs achèteront leur féta dans la même monnaie que les luxembourgeois achètent leur cancoillotte ? Personne ne le sait.
Je discute avec les gens qui font leurs courses : « La crise, me dit une belle dame d’un certain âge, c’est la transition vers une situation nouvelle. Et le pari de l’Europe depuis 1953 est de réaliser ces passages sans guerres. Les gouvernements européens voient l’originalité de l’un (Varoufakis), l’audace de l’autre (Tsipras) et la persévérance des deux et de leur peuple comme une menace pour la construction européenne actuelle. Or ils ne sont ni anti-européens, ni eurosceptiques. Ils sont sceptiques par rapport au plan dit ‘de sauvetage’ qui nous a amenés à cette violente crise humanitaire. La question est de savoir comment l’on prend une décision qui convienne à 28 – et à 18 – États membres ». L’un des producteurs se mêle à la discussion : « Oui mais c’est maintenant que viennent les difficultés : aussi bien pour eux que pour nous. Pourquoi croyez vous que nous sommes – avec eux – dans la rue et devant les nouvelles ? Est-ce que l’accord auquel ils vont arriver est ce que nous attendions ? Ou est-ce que nous allons nous faire avoir encore une fois ? ». Une jeune ajoute : « La difficulté maintenant est tactique et technique : les méthodes économiques qui seront choisies dépendent des choix et de l’audace de tous les gouvernements européens. L’espoir n’est pas seulement grec, il est européen, il s’agit de retrouver une Europe politique ».