Depuis le 25 janvier, les données pour la Grèce et pour l’Europe changent chaque jour. Pour préparer ce carnet je vais à un café très particulier de Thessalonique, là où chaque matin se retrouvent les « sages » de la ville : universitaires, journalistes, juristes, médecins, personnalités politiques. Il n’y aura pas d’interview, je prends des notes au fil de la discussion.
Le premier sujet est le peuple grec. Celui qui, entre 2010 et 2013, a été décrit par les médias européens comme « corrompu et paresseux ». Le préjudice causé par ces préjugés a été profond : le programme de la troïka ne pouvait en aucun cas être remis en question car les grecs ‘devaient payer’. L’image de la Grèce a changé dans les médias en 2013 : La Grèce est alors devenue le pays où la crise et sa gestion ont créé « beaucoup trop » de pauvres. Ce peuple vit, pour sa grande majorité, dans l’humiliation et l’austérité depuis cinq ans, des personnes ont perdu leur emploi et se sont retrouvées d’un jour à l’autre à vivre sous le seuil de pauvreté – les suicides ont augmenté de 27 pour cent et les SDF de 25 pour cent, seulement entre 2009 et 20111 – c’est ce même peuple qui a voté pour Syriza. Il est aujourd’hui dans l’attente et sa psychologie a enfin changé, un slogan assez juste dirait : « De la dépression à l’espoir ». « Logique, ceux qui n’ont plus rien à perdre sont bien plus nombreux que ceux, rares, qui ont encore quelque chose à perdre ».
La première surprise positive de ce gouvernement a été quand le ministre des Finances, Yanis Varoufakis – « nouvelle star » et « incarnation de l’espoir » – a dit « non » à la troïka. « Là, tout le monde a été heureux, qu’il l’admette ou pas ». La joie continue : aux conservateurs qui remuaient la menace du fameux « Grexit », Syriza a répondu : « Nous cherchons une solution européenne ». Cette position a été relayée par les homologues internationaux, il y a d’abord eu le soutien inattendu d’Obama, qui, pour ses raisons, a tout de suite appuyé les démarches de renégociation du gouvernement grec et ensuite le ministre des Finances français, Michel Sapin qui, après sa rencontre avec Varoufakis, a déclaré que « La France jouera son rôle en tant que nation amie de la Grèce ». « Le marathon contre la pauvreté du peuple grec est suivi du marathon de ce nouveau gouvernement ‘sans-cravates’ qui redonne au mot ‘négocier’ tout son sens. Enfin, la politique est de retour ! ».
Les pourparlers avec les homologues européens, si extravagants soient-ils sur le plan symbolique et esthétique, montrent qu’il ne s’agit pas d’annuler la dette mais de trouver une solution qui permette à l’économie grecque et européenne de se régénérer : « Nous allons trouver une solution commune. Varoufakis l’a dit clairement à Paris, ‘nous allons discuter avec nos partenaires, apprendre de leurs conseils et trouver ensemble les moyens de finir cette crise sans fin’ ». Il y a un autre élément qui, selon mes interlocuteurs, joue un rôle important, c’est la position géographique de la Grèce : « Les déclarations aussi bien du président des États-Unis, que celles de Poutine ou de la Turquie prouvent l’importance des enjeux géopolitiques du pays. Cela n’est pas un hasard si la première visite officielle de Tsipras a été à Chypre. Pour des raisons sentimentales certes, mais aussi parce qu’entre la Grèce, Chypre, la Turquie et Israël il y a aussi les ressources énergétiques de la Méditerranée du Sud-Est ».
Conclusion ? « Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Même si tout donne à penser que le pire est derrière nous, personne ne peut nous assurer de la suite. Quel que soit l’accord auquel aboutiront Tsipras et Varoufakis suite aux négociations avec les autres partenaires européens, il sera meilleur que les ‘plans de sauvetage’ de la troïka. Ce pourquoi ils sont par contre entièrement responsables est la catharsis et les réformes promises au sein même des institutions publiques et des structures étatiques. »