Pendant des décennies, le champagne a défini le segment des vins mousseux comme un produit de luxe, ce qui, pour la plupart des consommateurs, signifie quelque chose à garder pour une occasion spéciale. Mariages, anniversaires, remises de diplômes étaient les moments pour déboucher le champagne. Au Luxembourg, le crémant reste plébiscité, valorisant la production locale. Mais au niveau mondial, un nouvel acteur pousse les portes du marché des vins effervescents depuis quelques années. Aujourd’hui, les bulles les plus bues dans le monde ne viennent pas de France mais d’Italie : Le prosecco a détrôné le champagne. Près de 640 millions de bouteilles de prosecco ont été vendues en 2022 (alors qu’on en était seulement à 140 millions en 2010) contre 326 millions de champagne et 249 millions de cava espagnol. Le succès du prosecco s’explique en partie par le fameux spritz qui se savoure maintenant en toutes saisons. Il correspond surtout à l’air du temps : plus léger, souvent un peu plus sucré, facile à boire et moins cher. Il n’est donc plus nécessaire d’avoir une carte de vœux pour faire sauter le bouchon.
Le prosecco est produit dans une région spécifique, au nord de Venise. La grande majorité des bouteilles vendues sont des prosecco DOC (dénomination d’origine contrôlée) qui autorise la production dans neuf provinces (Trévise, Padoue, Belluno, Vicence, Venise, Pordenone, Gorizia, Udine et Trieste). Plus qualitatifs, les prosecco DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie) sont produits sur une zone plus précise et avec des rendements limités. Summum de la qualité de l’appellation, le Cartizze provient d’une sous-zone de seulement 107 hectares de vignobles. La dénomination est née en 2009, mais l’histoire de ce vin remonte à l’époque romaine. Il a été mentionné par Pline dans son Naturalis Historia et à l’époque s’appelait Puccino. À la fin du seizième siècle, l’écrivain voyageur anglais, Fynes Moryson parle de Prosecho, parce qu’il provient de la région autour du château de Moncolano, plus connu sous le nom de « Tour de Prosecco ». Le prosecco que l’on trouve sur nos tables actuelles doit beaucoup à Antonio Carpené, œnologue renommé, qui fonda en 1876 une école de viticulture et d’œnologie à Conegliano.
Le cépage emblématique de tous les prosecco est le gléra. Ce cépage offre de grosses grappes et chaque pied de vigne peut porter jusqu’à cinq kilos de raisins quand en Champagne un cépage produira seulement deux kilos de raisins. Pour prétendre à l’appellation prosecco DOC, le gléra doit être présent à hauteur d’au moins 85 pour cent. D’autres cépages viennent compléter l’assemblage et apportent des variations de goût : la bianchetta, la perera ou encore le verdiso. Depuis 2021, le prosecco rosé bénéficie également d’une appellation. Il contient alors jusqu’à quinze pour cent de pinot noir.
Comme pour le champagne, le prosecco connaît une double fermentation. Après la fermentation alcoolique, la deuxième fermentation qui permet la prise de mousse. Mais à la différence de celle du champagne ou du crémant qui est réalisée en bouteille, cette fermentation se fait en cuve clause. Elle est appelée méthode Charmat ou Martinotti : Le producteur ajoute du sucre et des levures dans les cuves en acier. Le CO² obtenu dans les cuves sera ensuite intégré aux bouteilles. Le résultat est un vin plus fruité que le champagne, avec des arômes d’agrumes, de fleurs blanches et au corps plus léger.
Les collines du Prosecco de Conegliano et Valdobbiadene sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2019. Les pentes abruptes nécessitent l’utilisation des ciglioni, des terrasses herbeuses où sont plantées les vignes, créant un paysage mosaïque tout à fait caractéristique. Mais aujourd’hui, la production explose avec de lourdes conséquences sur cet environnement. Selon des chercheurs de l’Université de Padoue, chaque bouteille produite détruirait quatre kilos de terre. En plus d’entraîner cette grave dégradation des sols, la surproduction utiliserait aussi beaucoup de pesticides. Les rendements de raisin diminuent, dévastés par une combinaison de conditions météorologiques extrêmes et de dégradation des sols. Cette année, les producteurs de prosecco ont été frappés par des précipitations printanières massives et des grêlons, puis par un été d’une chaleur étouffante. Des précipitations soudaines et intenses ont provoqué une érosion du sol et des effondrements de pentes dans les vignobles escarpés. Le consortium garant de l’appellation estime que l’instabilité météorologique, provoquée par le dérèglement climatique, pourrait réduire d’un cinquième les récoltes de raisin de cuve en Italie. Le quotidien La Repubblica dénonçait une véritable « année noire » pour le produit phare du secteur agroalimentaire Made in Italy. Les prix bas du prosecco pourraient dès lors grimper et le vin pétillant devenir à son tour un produit de luxe.