Le concept store Devï, rue Aldringen, dans le lieu qu’occupait jusqu’en 2021 l’iconique boutique l’Atelier, ressemble à une vraie caverne d’Alibaba. L’offre – robes, jupes, manteaux, blouses, bijoux et sacs – est composée de tant d’explosions colorées et de stimulis tactiles. L’Inde s’y montre de sa plus belle facette, les tissus, motifs et parfums transcendent l’amour pour le sous-continent qui habite Debbie Kirsch, la fondatrice de la boutique et de la marque Devi. « Ma grand-mère adorait l’Inde et y voyageait à de multiples reprises », dit-elle, les yeux châtains pétillants. « Elle gardait chez elle des objets mystiques, remplis d’histoires qu’elle aimait me raconter ». Pas étonnant que sa petite-fille, un bachelor en études environnementales en poche, prend la route vers le Rajasthan pour dénicher un endroit où réaliser un stage et, a fortiori, trouver une collaboration qui deviendra son projet professionnel de cœur.
« J’ai trouvé l’ONG Saheli women (« ami féminin », en sanskrit) sur Google, n’ayant pas de contacts ou recommandations précises. Mais en arrivant, j’ai senti que c’était l’endroit que j’avais cherché ». L’association a été fondée et dirigée par Madhu Vaishnav, qui deviendra comme une seconde mère pour Debbie. Elle œuvre pour le bien-être des femmes et des personnes originaires de castes inférieures, qui ont toujours d’une importance non négligeable dans l’Inde rurale. Debbie passe cinq mois dans le petit village de Bhikamkor près de Jodhpur, pendant lesquels elle développe un amour fou pour les tissus indiens. Elle tentera par la suite de trouver un partenariat de production avec une marque de vestimentaire européenne mais échoue. En reconcidérant son idée, elle décide de dessiner elle-même les prototypes et de les faire confectionner par l’équipe de Saheli women. « Il me tient à cœur que les dames soient impliquées dès le début, ce sont elles notamment qui choisissent le tissu à utiliser pour une série précise. » Le résultat de la première collection, de quarante pièces, est époustouflant : blouses et robes style « occidental », complets plus orientaux coupés dans des tissus typiquement indiens, des restes de saris (un sari fait six mètres) ou de longues écharpes. La marque Devï est née. « Le nom, qui fournit la racine sanskrite pour divin, se réfère à la spiritualité des employées de l’association, qui m’ont impressionnée avec leur énergie positive, qu’elles tirent aussi de leur prières quotidiennes ».
La marque se refuse d’utiliser des textiles neufs, honorant l’esprit slow fashion dont Debbie est convaincue. « La mode est la deuxième industrie la plus polluante sur la planète… Il faut tout simplement reconnaître que les T-Shirts à cinq euros ont un prix gigantesque en termes de respect de la dignité humaine et de l’environnement ». Lors d’un de ses séjours en Inde, Debbie observe une conséquence ravageuse de la fast fashion qui la révolte particulièrement. « Je voyais des camions qui transportaient pleins de couches hygiéniques utilisées. Les habitants m’ont affirmé, nonchalamment, que c’était les couches des employés des grandes usines de fabrication de vêtements, qui n’ont pas le droit d’aller aux toilettes pendant la durée de leur tâche ».
Les femmes qui fabriquent les habits de Devï à la main, travaillent à un rythme organiquement plus lent. Si elles sont là, c’est qu’elles ont réussi, d’ailleurs, à obtenir la permission de leurs maris de travailler, chose peu évidente en Inde rurale, et souvent sous condition qu’elles continuent à vaquer à leurs obligations de femmes et mères de famille en parallèle. Il n’est pas rare qu’elles amènent leurs enfants au travail; l’organisation contribue à leur éducation et prise en charge médicale. C’est pourquoi, les habits exposés à la boutique ne changent pas toutes les semaines, mais plutôt à un rythme saisonnier. D’ailleurs Debbie pratique une philosophie de vente délibérément ciblée sur le non-gaspillage : « Nos armoires sont trop remplies de vêtements qu’on ne met pas. Je n’incite les clients à l’achat que s’ils ont un coup de foudre et qu’ils sont surs de vraiment porter le vêtement au quotidien ».
Après son master en business durable et innovation à Utrecht, Debbie comptait initialement implanter sa marque à Amsterdam, quand une possibilité de pop-up lui est offerte par la ville de Luxembourg. Elle (et les clients) y prend goût, et quand l’opportunité surgit post-Covid pour reprendre le local appartenant à la famille Ferber après la fermeture de l’Atelier, elle n’hésite pas. « En plus, je vois un potentiel intéressant à Luxembourg, justement pour proposer un contrepoids aux grandes marques internationales ». Et ça marche. Son business croît de façon organique avec au cœur l’approche « 3P » (people, planet, profit). « Il n’est pas impossible de faire des bénéfices dans le respect de l’homme et de l’environnement. Visons juste ».
C’est l’esprit « communauté » de Saheli Women que Debbie cherche à transplanter au Luxembourg. Aussi, elle utilise le grand espace pour des soirées, expos, n’hésitant pas à inclure d’autres créateurs. Elle propose également des services de ‘fitting/outfitting’ sur rendez-vous.