On a beau trouver toujours de nouvelles occasions de râler, force est de constater que jamais nous n’avions croisé autant de gens souriants lorsqu’on déambule en ville. On pourra tout d’abord remercier Xavier, Paulette, Sam, Luc, Sven ou Yuriko, dont les mines avenantes sont dénuées de toute arrière-pensée pour tous ceux qui n’ont pas le droit de vote. Cette Superwaljoer, conjonction des astres électoraux qui ne devrait pas se reproduire avant trente ans, nous aura donné l’occasion de nous sentir courtisés du printemps à l’automne. C’est toujours bon pour l’amour propre.
Par ailleurs, il est de plus en plus fréquent qu’un sourire radieux vienne illuminer, sans raison apparente, les visages d’inconnus bien réels, et non seulement ceux de candidats pendus aux réverbères. La première fois, on est surpris, on doute que notre seul charme pousse un congénère à être tellement avenant à notre égard, on se demande si ce ne serait pas un ancien collègue, un ancien client, un ancien voisin. Par réflexe, on sourit également, au moins tant qu’on n’a pas croisé la personne. La seconde fois, on ne se laisse pas avoir, et on remarque tout de suite les petits bouts de plastique blanc qui dépassent des oreilles. Le sourire n’est pas pour vous, ni pour personne à plusieurs kilomètres aux alentours, d’ailleurs. C’est une réaction à une blague de stand-upper, un passage amusant dans un podcast ou une discussion enjouée au téléphone.
À quel moment est-il devenu socialement acceptable de garder en permanence des écouteurs dans les oreilles ? En principe, ce sont les agents de sécurité, ou les présentateurs du journal télévisé qui se promènent avec une oreillette. Pour une bonne raison : ils ont besoin d’entendre les consignes qu’on leur donne. Certes, on peut être perdu quand on n’a pas l’habitude des rayons de la Belle étoile ou de la Cloche d’Or, mais activer le GPS pour trouver le rayon lessive semble un peu excessif. Alors quelles sont les raisons qui peuvent justifier de garder ses écouteurs toute la journée ? C’est trop compliqué à enlever ? C’est pour faire joli ? C’est par peur de les perdre ? C’est collé ? C’est pour vivre chaque instant de son existence sur une bande originale de John Williams et avoir l’impression d’être une star d’Hollywood ? C’est pour pouvoir répondre super rapidement à un appel super urgent ?
Rien de critiquable dans le fait d’apprécier écouter de la musique sur un baladeur pendant son jogging, ni dans celui d’utiliser un kit mains libres pour téléphoner tout en préparant son repas. Cependant, au siècle dernier, les casques audio étaient moches et encombrants. Ils aplatissaient votre permanente. Il fallait dénouer trois kilomètres de câble. Et, de toute façon, les piles du walkman étaient toujours à plat. Désormais, plus aucun obstacle ne s’oppose à vivre avec les écouteurs greffés aux tympans. Merci à Apple d’avoir eu la bonne idée de les faire blancs, pour qu’on les remarque bien.
Regarder son téléphone à table n’était pas une façon subtile de faire comprendre à ceux qui partagent votre repas qu’ils sont moins intéressants que des vidéos de pandas sur TikTok ou que des inconnus qui expliquent comment poser du vernis à ongle. Mais ce n’était encore rien comparé à l’étrange habitude de ceux qui vous parlent désormais avec le bout des AirPods qui dépasse des conduits auditifs. Le sans-fil, c’est parfait pour éviter de créer des liens.