Les noms varient : amuse-bouche, bouchées apéritives, zakouskis, pré-entrées, canapés… Une chose est sûre, ça se passe au tout début du repas, comme une entrée en matière, une carte de visite. L’idée est d’ouvrir l’appétit, suivant le mot latin aperire (ouvrir) qui a donné le terme d’apéritif. À la maison, on se contente souvent de chips ou de cacahuètes, de tranches de saucisson ou de cubes de fromage, de tomates-cerises ou de radis. Au restaurant, ces bouchées ont longtemps été l’occasion de vider les restes du réfrigérateur et de donner aux apprentis une matière où se faire la main sans risque. Aujourd’hui, surtout dans l’univers de la gastronomie, elles sont devenues les premiers signes qualitatifs du restaurant, une étape à part entière du menu dans laquelle les cuisiniers font la démonstration de leur talent.
Les amuse-bouche se dégustent en lisant la carte, en sirotant un verre de champagne, parfois dans un salon dédié. Ils donnent le ton de la suite du menu et annoncent l’orientation des agapes comme une invitation au voyage culinaire qui va suivre. Il s’agit d’être cohérent avec l’identité culinaire du chef et de mettre en évidence son savoir-faire : rappeler ses origines, valoriser un produit phare, faire la démonstration d’une maîtrise technique, passer un message en lien avec l’histoire ou l’environnement de l’établissement. Certains rassurent avec les saveurs qui font leur réputation, d’autres osent la surprise. Le client acceptera mieux un goût qu’il ne connaît pas dans une seule bouchée que dans un plat entier. Comme son nom l’indique, l’amuse-bouche n’a pas besoin de se prendre au sérieux, il peut déstabiliser, faire sourire, étonner.
Généralement, les amuse-bouche sont de petites dimensions et s’avalent en une seule fois. Ils se dégustent souvent avec les doigts, comme d’ailleurs les mignardises de fin de repas. Le service doit être rythmé pour garder le client attentif et réceptif, avec des intitulés clairs et simples qui ne prennent pas plus de temps que la dégustation. Ce concentré de saveurs et de techniques se doit d’être fort en goût, de marquer les esprits. Il peut susciter une certaine frustration qui, en titillant les papilles, donnera envie d’aller plus avant dans le menu. Certains restaurants ne s’y trompent pas et ne prennent la commande qu’après ces premières bouchées. En ouvrant la faim, l’amuse-bouche peut pousser le client à choisir un menu plus conséquent. On évitera donc de surcharger avec des ingrédients un peu lourds comme le fromage, le foie gras ou les fritures.
Comme dans tous les domaines, il y a des modes dans l’accompagnement de l’apéritif. Les verrines, puis les cuillères remplies, en vedette il y a une dizaine d’années, se sont ringardisées en entrant chez les particuliers. Place aux boîtes garnies de grains de cafés, de galets, de mousse végétale, de sarrasin, aux branches où sont accrochées les bouchées (à la Distillerie, par exemple), aux tuiles à croquer suspendues (chez Fani notamment), aux supports élégants et personnalisés (vus à Ma langue sourit ou à l’Eden rose). En termes de format, tous les goûts sont permis. La tartelette est un classique qui rassure. Elle se prête à toutes les garnitures, végétale, carnée ou autre, en plusieurs couches parfois. Le cromesquis (pané) et les gougères (pâte à choux) reviennent à la mode. Ils se mangent chauds, avec du fromage, un escargot, des herbes ou même de la viande. Un cracker, un toast, une tranche de brioche ou de pâte feuilletée sont d’excellents moyens de valoriser la préparation qui est déposée dessus que ce soit rillettes, crème, pommade, charcuterie ou légumes. La technique passe aussi par cette étape du repas : sorbets salés, liquides sphérifiées (qui explosent en bouche), mousses ou éléments déshydratés sont devenus légion. Avec des beurres aromatisés et travaillés avec des épices ou des herbes et du pain fait maison, certains restaurants intègrent la séquence pain-beurre au menu comme une autre signature du chef.
Zone de grande liberté, d’audace et d’expérimentation, l’apéritif et ses bouchées représentent un art à part dans la gastronomie, comme la miniature dans la peinture, l’aphorisme dans la littérature et le haïku dans la poésie.