Lorsque l’on franchit le seuil de la vitrerie d’art Bauer&Rathmann, c’est un voyage dans le temps qui débute. Les établis et meubles centenaires, les affiches jaunies, les dessins réalisés en vue des restaurations, les photographies sont autant de jalons de l’histoire de l’atelier, investi dans les années 1920 par Sylvère et Jean Linster, dont le nom orne encore la façade. L’entreprise, créée en 1891 à Mondorf-les-Bains par Pierre Linster, est reprise en 1974 par Bernard Bauer. Sa fille Sandrine lui succédera quinze ans plus tard, en association avec Matthias Rathmann. « Je suis heureuse que tout soit resté en l’état, dans ce lieu dans lequel j’ai grandi, où l’on faisait nos devoirs avec ma sœur tandis que les artisans travaillaient, glisse Sandrine Bauer. À l’image de cet environnement, les techniques de travail du verre n’ont presque jamais changé, sauf que l’on soude à l’électricité et plus au gaz ».
Parmi les cinq vitriers d’art de l’atelier, on croise toutes les générations, de Benita, 20 ans, spécialiste de la peinture sur verre et formée en Allemagne, à Miguel, 36 ans de service au sein de la maison. Bauer&Rathmann s’investit aussi bien dans la création de vitraux contemporains pour des clients publics ou privés que dans la restauration d’œuvres anciennes. Pour une pièce nouvelle, comme celle sur laquelle travaille Benita au couteau à verre, l’exercice ressemble à un minutieux puzzle : chaque morceau de verre est mesuré au millimètre près, découpé dans de grandes plaques colorées rangées sur d’antiques étagères. Les pièces sont ensuite serties avec des baguettes de plomb et du mastic, tandis que les points sont soudés au zinc pour tenir l’ensemble. « Le verre, que nous commandons en France et en Allemagne, est soufflé à la bouche. Ces plaques sont déjà des œuvres d’art, elles ne sont jamais identiques », indique Sandrine Bauer. Parmi les réalisations-phares de Bauer&Rathmann en terme de création, celle-ci se souvient avec émotion des 75 m² de vitraux de la chapelle de l’Hôpital Kirchberg, une œuvre aux nombreuses nuances de l’artiste Roger Bertemes que Sandrine a réalisé auprès de son père.
La restauration, encadrée par Daniel Steinbach, est l’une des spécialités de la maison Bauer&Rathmann, une des seules à exercer cet art au Luxembourg. Le Palais Grand-ducal, la Cathédrale Notre-Dame ou l’église Saint-Michel, comptent parmi les chantiers les plus prestigieux de l’atelier en termes de conservation-restauration. Un travail effectué en relation avec l’Institut National du Patrimoine Architectural (INPA) pour lequel les vitraux font l’objet d’une analyse sur place avant la dépose. Dans la mesure du possible, on répare, on recolle les fissures, on change le mastic et le plomb avant de remplacer certaines parties si les dégâts sont trop importants. Pour les parties peintes, pas question de recouvrir : on reproduit le motif au pinceau sur une nouvelle pièce de verre. Après la grande tendance des motifs abstraits dans la deuxième moitié du vingtième siècle, venus remplacer les vitraux originels, l’art verrier opère un retour aux sources, privilégiant la tradition et la restauration. La restauration de la totalité des vitraux d’une église fournit à l’atelier du travail pendant six mois à un an : des opportunités rares, très importantes dans un milieu soumis à la concurrence des artisans français, belges et surtout allemands. « Nous aussi, nous faisons partie du patrimoine. Et on ne sera jamais remplacés par des robots ou par l’intelligence artificielle », souligne Sandrine Bauer.