Après s’être aventuré en terre magyare avec Béla Bartok en 2015, puis austro-allemande avec Richard Strauss et Alexander Zemlinsky en 2016, l’Orchestre philharmonique du Luxembourg remet, cette année, l’ouvrage sur le métier en gravant, dans la superbe acoustique du grand auditorium de la Philharmonie, la Première symphonie d’Anton Bruckner, sertie dans quatre pièces orchestrales mineures du même compositeur. Ce en quoi l’OPL demeure fidèle à sa politique discographique, dont le propre est de marier avec bonheur chefs-d’œuvre immarcescibles du mainstream et pages méconnues, sous-estimées voire oubliées.
La Première de Bruckner ? Une première, sauf erreur, à la fois pour l’OPL et son nouveau chef titulaire. Fort d’une énergie digne d’un athlète de haut vol et d’une direction résolument conquérante, c’est avec des tempi nerveux et incisifs, sans que ceux-ci ne nuisent en rien à la fluidité du discours musical, que le maestro espagnol aborde cette partition juvénile, œuvre de combat et de conquête animée d’un impétueux esprit Sturm und Drang, qui plus est réputée « rapide » et difficile à mettre en place en raison de son audace harmonique (les trente premières mesures de l’Adagio échappent à toute définition tonale !) et, sur le plan dynamique, en raison de l’alternance serrée des fff et ppp. Aussi, dès le mouvement d’ouverture, Gimeno se montre-t-il impressionnant de détermination et de puissance, parfaitement suivi par un orchestre virtuose et sportif, tout en faisant preuve d’un sens aigu des nuances et demi-teintes. Cette brillante démonstration orchestrale cède la place dans le mouvement lent, grâce à un investissement émotif et spirituel sans faille de la part des interprètes, grâce aussi à une étonnante alchimie entre ferveur germanique et ardeur hispanique, entre dépouillement mystique et chair palpitante, à une véritable leçon d’âme, une poignante méditation de l’Homme face au Destin. Quant au Scherzo, acéré et cinglant à souhait, il débouche sur un Finale (noté bewegt und feurig) des plus incandescents. Où l’on voit que cette « symphonie de l’espérance », sans doute la moins contemplative et sombre des neuf symphonies de l’organiste de Saint-Florian, convient admirablement à un Gimeno dont on sait à quel point son tempérament le porte vers des lectures dynamiques et optimistes. Nul doute : drivé par un maître fringant et qui en veut, l’OPL signe là une belle version, violente et enflammée, quand bien même cette lecture ne peut – et, d’ailleurs, ne prétend aucunement – égaler les références signées par des protagonistes plus intimement connaisseurs de l’univers et du langage brucknériens.
Alors oui, tout n’est pas irréprochable, comme l’attestent tels menus impairs ou accidents de parcours. Mais ces idiosyncrasies ne suffisent pas à éclipser une vie intérieure et un rayonnement absolument convaincants. Le seul vrai bémol réside peut-être à nos yeux – ou plutôt oreilles – dans le fait d’avoir préféré la version dite « viennoise » (révisée en 1891) à la version primitive dite « de Linz » (composée en 1866), version bien plus enlevée, plus pétaradante, plus primesautière, rendant davantage justice à cette symphonie que Bruckner lui-même surnommait si pertinemment « das kecke Beserl » (« la petite effrontée »). En complément de programme, une Marche WAB 96 et Trois pièces pour orchestre WAB 97, qui, de l’avis même de leur auteur, sont des « Schularbeiten », mais qui n’en demeurent pas moins admirablement écrites, certes très « classiques » de forme et de facture, mais ni bavardes ni prétentieuses, et qui ne demandent qu’à briller sous les doigts d’Opéliens à la fois inspirés et rigoureux, idoines et complices. Une exhumation opportune de « petites » partitions rares que cette gravure permet de découvrir et de goûter avec délectation. Stravinski disait à propos de la musique du « Ménestrel de Dieu » qu’il voulait bien grimper au Ciel, mais pas dans un train de marchandises. Vœu exaucé avec Gimeno à la tête de l’OPL, tant le tortillard se métamorphose en TGV ailé pour le plus grand agrément des passagers.
Aussi, cet enregistrement représente-t-il bien davantage qu’un CD : c’est un CaDeau, un somptueux bouquet de plaisir musical, un excellent remède contre la morosité régnante et la sinistrose ambiante. À se procurer toutes affaires cessantes.