Il faudrait commencer cet article comme on commence une bande-annonce d’un film de science-fiction mièvre. Un peu dans ce genre : dans le vide intersidéral qui règne depuis la nuit du temps, rien ne bougeait, rien n’existait. Enfin, dans l’explosion des étoiles, dans l’expansion violente de l’univers, naquirent d’innombrables galaxies, d’innombrables systèmes solaires avec leurs planètes, et sur l’un d’eux, une étrange et recluse civilisation se mit soudainement à briller de mille feux.
Vous l’aurez compris, il est question ici de la culture, plus précisément de la littérature luxembourgeoise, qui reste – du moins si l’on considère que le débat linguistique qui préoccupe tant de braves citoyens récemment ne parle quasiment jamais d’un quelconque patrimoine littéraire – absent du discours public. Et pourtant, elle n’a jamais été aussi présente, semble-t-il : non seulement se rend-on compte que le nombre de publications littéraires augmente, mais les activités, manifestations et événements autour de la littérature autochtone ont récemment poussé comme des champignons et ont atteint, rien que pour les deux premiers mois de cette nouvelle année, un nouveau record – de douze rendez-vous. Outre les habituelles rencontres, comme les mardis littéraires, à la Cité Bibliothèque (à ne pas confondre avec les mardis littéraires au Kinneksbond), la soirée de lecture annuelle de la Kufa, les séances de lecture organisées par la maison d’édition Kremart (pas un mois ne passe sans une présentation d’un des très nombreux livres [ou d’une des collections de livres] de la maison de Christiane Kremer et de Luc Marteling), il faudrait ici évoquer quelques événements littéraires qui, depuis un certain temps, ont lieu régulièrement sur le territoire du Grand-Duché.
Les concepts les plus intéressants et originaux sont certainement ceux appelés Désœuvrés et Impossible readings. Le premier, développé par Isabelle Junck et Jeff Schinker, réunit une fois tous les deux mois, au premier étage du café Rocas, un ensemble d’écrivains qui viennent présenter des textes (qui ne sont pas encore des œuvres) à un public qui non seulement prête son oreille, mais est encouragé à les commenter, à louer les efforts de style, à mettre en évidence un moment illogique dans la narration, à poser des questions de compréhension. La deuxième série de lectures, Impossible readings, organisée par la compagnie ILL et qui n’a lieu que quelques fois par an, met à chaque fois les écrivains invités dans une situation de lecture publique difficile ou impossible, que ce soit en l’accompagnant de musique tonitruante, en lui faisant commande d’un genre inhabituel (certains se souviennent peut-être de la lecture d’histoires de fantômes lues dans une maison sombre de Walferdange, ou du marathon de lectures qui dura douze heures, en été dernier, au Mudam).
La soirée Désœuvrés s’est entretemps un peu diversifiée, dans ce sens qu’elle propose des lectures plus insolites, intégrées, par exemple, dans un « pub crawl » qui va du Rocas au Gudde Wëllen et autres, ou qu’elle se veut plus ludique, comme l’édition de mercredi dernier, qui réunissait cinq écrivains autour d’une critique proleptique, en flash-forward donc, publiée dans le supplément Kulturissimo de décembre 2016, de leurs propres textes qui n’existaient pas encore. L’événement connaît un certain succès, on y croise une foule plutôt jeune, mais pas seulement et l’ambiance est bon enfant et décontractée.
Ce concept, de l’interaction auteur/public, qui tient son origine d’un événement littéraire parisien, le WIP (Work in progress) organisé par Claire Leydenbach (la petite-fille de Joseph Leydenbach) et Karim Miské (auteur du livre primé Arab Jazz, publié aux éditions Hamy), a été repris par la Kufa – sous l’égide de Nathalie Ronvaux et de Claire Leydenbach, agent de liaison entre Paris et Luxembourg, et sous l’appellation de Word in progress : depuis la saison 2016-2017, cette soirée de lecture mensuelle demande à trois écrivains de confronter leurs inédits à un public souvent peu sévère, plus enclin à mettre en valeur les potentialités d’un auteur que de s’attarder sur ses défauts.
Une autre manifestation littéraire que l’on pourrait citer ici est le Gueuloir : ce collectif d’auteurs dramaturges de la Grande-Région (francophone, pour l’instant), qui n’existe que depuis peu, proposera dorénavant deux lectures publiques par an de ses membres, lus par des comédiens professionnels. La première édition aura lieu le 9 février à la Kufa, (ainsi que la veille, le 8 février donc, à l’Espace Bernard Marie-Koltès au Théâtre du Saulcy à Metz), avec des textes de Nathalie Ronvaux, d’Olivier Piechaczyk et de Denis Jarosinski, lus par Hervé Lang, Valerie Bodson, Joel Delsaut, Christian Magnani et Hervé Sogne. Une deuxième édition est prévue pour avril.
Donc, quiconque a eu (et aura) envie d’écouter un peu de littérature luxembourgeoise, lue, déclamée ou récitée, ne pourra plus dire qu’on est mal servi, au Grand-Duché. Le seul souci, un peu comme au théâtre où les dates de représentation s’enchevêtrent parfois à tel point qu’on a du mal à voir tout ce qu’on a envie de voir, c’est qu’on a toujours l’impression d’une coordination un peu gauche, ou bien d’une mauvaise concertation entre instituts : comment expliquer sinon que certains jours, comme par exemple le 7 février, connaissent plusieurs manifestations littéraires à la fois, pour un public qu’on sait néanmoins limité.
Lectures en janvier et février 2017
10.01 : Lecture de Maryse KrierJean Backtextes de Linda Graf enregistrés au Kasemattentheater (soirée organisée par Kremart)
Lecture d’Enrico Lunghi et Serge Basso au Café littéraire Le Bovary
13.01 : Poetry slam présenté par Luc Spada et Michel Abdollahi au Kulturhaus Niederanvenavec HanzBob ReinertPaule DaroNinia BiniasLouise KennLeonie Warnke et al.
17.01 : Word in progress à la Kufa avec Mandy ThieryGast GroeberRoland Meyer
24.01 : Lecture de Rafael Kohn au Bovary
25.01 : Désoeuvrés au Rocas avec Claudine MunoFrancis KirpsJean BeurletMandy ThieryFlorent Toniello
27.01 : Lecture de Maryse Krier à l’Atelier Paradiso à Bettembourg
07.02 : Lëtzebuerger Literaturen à la Kufaavec Ulrike BailLuc CaregariTullio ForgiariniFrancis KirpsCarla LucarelliRoland Meyer
Mardis littéraires à la Cité-Bibliothèqueavec Maryse Krier
08.02 : Soirée Smart organisée par Kremart à Junglinsteravec Christiane KremerTom DeckerJosiane KartheiserBob KiefferLuc BellingKarin Goedert
Soirée littéraire avec Alain Blottière et Gaston Carré à l’Auditorium Citéorganisée par l’IPW
09.02 : Le Gueuloir. Lecture de textes de théâtre d’auteurs de la Grande Région à la Kufaavec des textes de Nathalie RonvauxOlivier Piechaczyk et Denis Jarosinski
11.02 : Atelier d’écriture avec Rafael Kohn au Bovary
14.02 : Word in progress à la Kufa avec Hélène Tyrtoff et Pascal Aubert