C’est la quatrième fois que Max Dauphin expose à Luxembourg. Sa plus ancienne prestation remonte à 2016. C’était à la regrettée galerie Krome. Dans l’exposition collective Transformation, on voyait – c’était après son séjour au Sénégal – un ensemble de figures totémiques, The Tribe, qui regardaient deux tableaux à la végétation tropicale foisonnante. Selon le texte de présentation de la galerie, il s’agissait d’« exemples de l’effet de la globalisation sur les ressources naturelles et la production artistique locale ».
Une seule de ces pièces d’assemblage (Dandy, bois et toile de jute), dans l’exposition monographique de Max Dauphin, actuellement à la galerie Fellner contemporary, semble veiller sur les œuvres peintes, des grands formats, réalisées à l’acrylique sur toile. Le titre Travelogues, résume parfaitement ces quatorze peintures rapportées de trois séjours en six ans que Max Dauphin a chronologiquement effectué en Mongolie, aux USA et au Mali, entre 2009 et 2015.
On ne sait pas grand chose de cet artiste âgé désormais de 44 ans et on peut s’étonner de voir des œuvres aussi anciennes. Entre temps tout de même, Dauphin a exposé en 2018 à Hollerich, dans un lieu disparu depuis, et à Neimënster en 2019. On retiendra de ces deux prestations que l’une mettait en avant la cause animale dans un restaurant ni végétarien ni végane et la seconde évoquait des cauchemars qui assaillent la psyché humaine en situation de stress intime. Si Hans Fellner a choisi d’exposer des œuvres antérieures, c’est qu’on ne les a encore jamais vues et qu’elles correspondent par ailleurs au challenge que s’est donné le galeriste : exposer des artistes luxembourgeois dans la catégorie art contemporain, « vendables » et dans un rapport de plaisir personnel assumé.
Voici donc, avec Travelogues, un véritable travail de peintre. Max Dauphin, qui a fait le choix de chromies de base (vert pour les peintures réalisées en Mongolie comme les steppes, brun pour les toiles africaines comme la terre ocre), a rapporté, tel un grand reporter ou un travel writer, des sujets qui sont propres à chacune des cultures et des situations où il a été immergé : par exemple l’interdiction en Mongolie de pouvoir représenter les visages. Cela tombe bien : les masques évoquent le faciès chamanique bouriate du dieu guerrier Begtsé. On retrouve aussi le tigre protecteur dans une situation d’inconfort géographique : le pays est coincé entre la Chine et la Russie.
Les toiles réalisées au cours du séjours sénégalais nous paraissent plus convenues. Parce que nous croyons mieux connaître la traditionnelle fusion de la force homme-animal, buffle, crocodile ou serpent. Mais est-ce le cas ? Ces portraits ne reflètent-ils pas la fierté de l’homme africain en même temps qu’ils dénoncent l’oppression des anciens empires coloniaux ? Aujourd’hui en tout cas, le tourisme occidental notamment sexuel, est un fléau bien identifié par Max Dauphin.
Comme l’Europe s’est quasi faite dévorer par les modes de vie et d’expression américains mainstream, Wonderwoman, Aquaman ou encore Spiderman nous parlent directement. Voilà la Nouvelle-Orléans, foyer des musiques afro-américaines, du blues et du jazz submergée par l’ouragan Katrina, l’illustration du scandale de vingt années de surconsommation d’opioïdes via des lobbys pharmaceutiques sans scrupules. Quant à la toile où une femme est revêtue de la totémique peau de fourrure amérindienne qui ouvre l’exposition devant une rangée d’hommes, porteurs d’armes et au nez de clown, c’est comme si le peintre, lors de son séjour américain, avait eu une vision prémonitoire de la prise du Capitole par les suprématistes blancs. Dès le jour de l’investiture de Donald Trump en 2016, Max Dauphin peignait une sorte de Guernica des quatre années de chaos à venir.
On comprend l’envie de Hans Fellner d’exposer Max Dauphin.