On sait les espaces de la galerie Ceysson & Bénétière, au Wandhaff, amples, généreuses. Ce qui les distingue plus de salles de musée, c’est qu’ils offrent, dès l’entrée, quasiment un coup d’œil total. Toute l’exposition se déploie, s’offre à vous. Ce n’est pas peu dire quand il s’agit de celle de Claude Viallat, d’une cinquantaine d’œuvres, toutes de grande dimension. Il en est qui font trois à quatre mètres. Vous en êtes entouré, comme si vous entriez dans une explosion de formes, de couleurs, une explosion de vie (à prendre les deux ensemble). On dira un émerveillement, de pareille création incessante, qui peut tourner à la griserie, à une sorte d’étourdissement (il faudra y revenir).
Commençons par les couleurs dont Claude Viallat nous met plein les yeux. L’exposition s’intitule : Dans tous les sens, il s’agit évidemment du sens de la vue, mais excité, enchanté par une profusion de couleurs (pour les formes, ce sera plus tard également). Couleurs qui se marient entre elles, auxquelles il arrive de se chamailler, couleurs qui chuchotent, d’autres qui crient. Décidément, Claude Viallat s’avère, lui qui peut de même se satisfaire d’un bout de ficelle, d’une corde, grand coloriste. Les couleurs, il les fait danser, comme les formes des œuvres (nous y voilà), comme cette forme qui lui est propre et sur laquelle il faudra aussi s’attarder.
Là-dessus, le visiteur sera confronté d’un bout à l’autre, répétition d’un même toujours différent, varié, à la forme Viallat, éponge, haricot, rein, sa marque, aujourd’hui on dirait logo, plus savamment son blason. « Une pulsion proliférante », selon Matthieu Léglise, ajoutant plus loin que la forme est « à la fois mutique (elle ne représente rien) et généreuse (qui permet toutes les lectures) ». En relief, en creux, au pochoir, dans les assemblages de tissus, de papiers, elle peut s’aligner, ses séries peuvent s’opposer, se contrecarrer. Des fois réussir à vous faire tourner la tête.
Il est ainsi deux temps dans la visite de l’exposition de Claude Viallat. On commence par plonger dans pareille profusion, et après il faut s’en détacher. Choisir alors telle œuvre et la regarder, la scruter de près. On aura d’ailleurs noté depuis longtemps cette autre richesse, des supports, textiles, même cul de fauteuil ou parachute, tous de récupération. Et l’on ne sera pas étonné de découvrir de la finesse, de la délicatesse derrière un matériau a priori brut, grossier. C’est le moment aussi, suivant l’endroit et le choix, de faire face à quelque chose de plus statique, ou de laisser le regard de nouveau gagné par un beau dynamisme.
Troisième temps, plus inattendu (du moins pour la plupart des visiteurs), plus discret, voire intime, et il faut poursuivre plus loin, pour tomber sur ce Mur de tauromachie, avec des œuvres qui, de petite et très petite dimension, sont tout le contraire du reste, répétition là de la figuration du taureau et des courses. Ce n’est pas dans l’air du temps, mais Viallat est originaire du pays nîmois, et le voici dans la suite des Goya et Picasso. Et pour plus d’un visiteur, le souvenir surgit des lectures des Bataille, Caillois, Leiris, des comptes rendus des férias par Jean Lacouture dans Le Monde, le journalisme se faisant alors littérature.
Claude Viallat a réuni bon nombre de dessins, encres de Chine, crayons, acryliques, dans un somptueux livre. Des taureaux seuls, ailleurs avec toreros et picadors dans les corridas, ou avec les raseteurs tout de blanc vêtus dans les courses camarguaises. A Nîmes, le Musée des Cultures Taurines qui porte les noms d’Henriette et de Claude Viallat, est riche de près de trente mille pièces, et le coup d’œil sur une pratique désormais honni est multiple, artistique bien sûr, mais également historique, ethnographique, scientifique. Naguère, dans une autre ville ouverte à la même tradition, Arles, Viallat avait exposé quelque cent cinquante dessins, « j’ai toujours été excessif », avoue-t-il dans le livre dans un entretien avec Michel Nuridsany.
Et plus loin, il évoque « une spirale où les choses s’ajoutent… se questionnent dans le temps et dans l’espace ». Image qui ramène à notre point de départ.