Le portrait et l’autoportrait sont en peinture une vieille tradition, continuée, avec de nombreux portraits d’enfants, au début de l’ère photographique au 19e siècle. Ils ont aussi nourri la littérature. Le monde enchanté d’Alice au Pays des Merveilles de l’écrivain Lewis Carroll, photographe de la petite fille qui rentre dans le terrier du lapin en est un des grands exemples. Cristina Dias de Magalhães renoue à sa manière avec ce genre dans la série Instincts. Same but differents.
Se photographier soi-même toujours de dos, jouer avec la masse de ses cheveux et la lumière comme un tatouage naturel sur la peau, Cristina Dias de Magalhães l’a déjà fait. On a pu voir ses diptyques, où elle se met en scène en duo avec la nature, l’écorce et le feuillage des arbres, la lumière filtrée dans un intérieur par un voilage ou un store, il y a deux ans dans la série Embodys, à Neimënster durant le Mois Européen de la Photographie.
Dans Instincts. Same but different, à voir encore pour une semaine, à la galerie Nei Liicht à Dudelange, Cristina Dias de Magalhães fait presque oublier aux visiteurs la part technique des prises de vue rapprochées, le talent pour capter des instants éphémères. On peut aussi appeler cela un instinct : celui du regard d’une mère sur ses jumelles. Cristina Dias de Magalhães observe les mouvements de ses filles, dans leurs déplacements : ombre portée de la silhouette de l’enfant dans un corridor rayé de lumière versus dessin régulier de la boiserie blanche et chevelure brune bouclée virevoltante (Home). Il y a l’exploration de la maison et les jeux (Guardian, Escape), où Cristina Dias de Magalhães met ses filles sous la protection de grands oiseaux : autruches, corbeaux. Une manière d’introduire l’onirisme dans l’exposition peut-être, en donnant beaucoup d’importance aux animaux comme le faisait Jean de La Fontaine dans ses Fables.
Une constante, chez les enfants d’hier comme d’aujourd’hui, c’est de découvrir les animaux à travers leurs peluches. Pendant à cette prise de vue rassurante et esthétique – petite fille vue de profil, cheveux nattés parallèles aux longues oreilles de la poupée-lapin – voilà le tronc rugueux d’un arbre qui occupe tout le panneau jumeau. Est-ce un parallèle avec la découverte du monde extérieur, où pour se rassurer, on peut s’accrocher comme un petit animal au corps du père (Rassurance), quand on découvre à ses pieds, la masse enroulée d’un corps de bête couvert d’écailles ?
On pourrait continuer ainsi à décrire ce que rapprochent les diptyques, dont Cristina Dias de Magalhães fait encore une fois ici sa marque de fabrique photographique. Bond, Connected, illustrent l’instinct semblable entre les jumelles et les animaux. Les matières et les formes, dans Reflection, rapprochent le plumage, la queue de l’oiseau et les cheveux ramassés de l’enfant. Avec Gaze, voici l’étonnement qui se lit pareillement dans les yeux du léopard et ceux de la fillette.
Il y a, à la galerie Nei Liicht, un mur couvert de dessins d’enfants. La série Instincts. Same but different a été conçue durant cette étrange année 2020, où la proximité familiale a été propice à Cristina Dias de Magalhães pour observer cette première écriture, l’évolution de ses filles, photographier leur vie à la maison et faire le parallèle entre nature animale et enfantine lors de visites au Museum d’Histoire naturelle de Genève. C’est un peu la raison d’être de ces diptyques.
L’exposition est habile. On est séduit par les chromies raccord (pastels, gris, châtain), les plages de couleurs fortes et contrastées (rouge, bleu gris profond), les tirages photographiques encadrés ou contrecollés sur Dibond côtoient des tirages sur latex à même le mur. Quelle suite Cristina Dias de Magalhães donnera-t-elle à cette ronde ? C’est une question que l’on peut se poser en quittant la galerie.