On ne fait pas dans la modestie, dans le magazine du Musée national d’histoire et d’art, en mettant quasiment la maison au rang du Centre Pompidou, « in fact, the museum, with the Centre Pompidou in Paris, houses one of the most important collections worldwide of artists belonging to – or associated with Supports/Surfaces » (tiens, en anglais pour un mouvement dont on dit par ailleurs qu’il a façonné l’art français contemporain autour de 1970). Tout cela pour introduire l’exposition d’une douzaine d’œuvres, onze exactement, de Claude Viallat et Patrick Saytour. C’est appréciable, mais le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne n’en a pas mal non plus dans ses collections, 78 pour Viallat et 17 pour Saytour, en tout 336 pour les douze fondateurs de Supports/Surfaces.
Laissons les chiffres, les salles Kutter offrent donc un petit bout de Supports/Surfaces, de quoi se faire un début d’idée du mouvement, déjà transmise dans le nom-même. On décompose l’œuvre, la défait en quelque sorte, abandonne le tableau en tant que tel, châssis et toile se séparent, prennent de l’autonomie, et on délaisse bien sûr le sujet. Du tissu qui flotte, un filet en cordes accroché au mur, voilà pour Viallat, avec sa forme réduite, d’amibe, de haricot, de rein (on se rappelle les Nierentische dans années cinquante), répétitive à souhait, glissant une leçon de gestaltisme dans l’opulence des couleurs. Pour Saytour, une installation date de 1967, hétéroclite, baroque, avec ses tissus toujours, ses voilages, ses filets, ses barres de bois ; avec Pliage, œuvre de quelque six mètres de long, tissu écru et empreintes bleues, on passe au classicisme le plus pur. Et le regard de changer encore, avec Cerceau, de 1978, on dirait un panier de basket d’où pend de nouveau un filet, et là sont pris plusieurs brosses à poils, pinceaux pour peinture comme récupérés de quelles profondes, de quelles pêches passées.
Beaucoup d’attrait dans cette variété, de l’enjouement, et l’on s’y abandonnerait volontiers. Seulement, on se met à lire tel texte, on s’y remet sur le site du MNHA, pas de nom d’auteur, alors qu’on n’a pas de mal à reconnaître la plume de Bernard Ceysson. Cela manque évidemment, terriblement de probité. Tout le monde sachant Ceysson incontournable quand il s’agit de Supports/Surfaces, lui, le natif de Saint-Etienne, directeur du musée de la ville au moment justement de l’émergence du mouvement. Et c’est dans sa galerie du Wandhaff, après la rue Wiltheim, que ces artistes ont défilé les uns après les autres, et continuent de le faire, c’est Arnal en ce moment, Viallat sera de retour à la mi-février.
Cela amène à autre chose, la programmation d’un musée. Quelque séduisante que soit une exposition de petite taille, elle ne peut rivaliser avec un déploiement tel qu’il est habituel (et la qualité ne le cédant en rien au nombre) au Wandhaff. Un musée a une autre fonction qu’une galerie, une tout autre tâche ou mission. Il collectionne et conserve (il en sera encore question) et puis il semble qu’il doive faire preuve aussi de pédagogie. Une exposition de Supports/Surfaces, la première à cet endroit, appelle un contexte, d’autant plus que le mouvement n’était pas limité à l’art, à l’esthétique. Dans l’après-mai 68, dans l’ébullition de l’époque, il était accompagné (avec les dissensions et les démissions que cela comportait) d’une revue, comme parallèle à Tel Quel, s’intitulant Peinture, cahiers théoriques.
Tout un temps à ressusciter, à faire comprendre. Supports/Surfaces, c’était également une vision politique, et au-delà une forte mise en relation de l’art avec d’autres disciplines comme la linguistique, la psychanalyse, la philosophie marxiste, etc… Le temps du structuralisme, de la déconstruction. « La fameuse coupure épistémologique que chacun se devait de repérer dans l’histoire de sa discipline nous a amenés, à la revue Peinture, cahiers théoriques, à définir la rupture qui a été déterminante pour l’art moderne » (Daniel Dezeuze).
Au Marché-aux poissons, à côté de cette mise en contexte, comme la maison a partie liée avec l’histoire, qui comporte celle des idées, il s’offrait d’autres points de vue. La confrontation par exemple, le dialogue plutôt, de l’installation majeure de Saytour avec Genter Raum, d’Imi Knoebel, qui date de 1980, autre exploration d’une nouvelle dimension picturale, d’autant plus que le MNHA a dans ses collections d’autres œuvres de l’artiste allemand. Possibilité plus provocatrice, l’opposition des artistes de Supports/Surfaces avec ce qui, dans les années de leur épanouissement, continuait à émoustiller le (bon) goût esthétique dans le pays (et les œuvres ne doivent pas en manquer dans les collections). L’oubli serait injuste : Pliage, l’acquisition en a été faite l’année passée avec le soutien des Amis des musées ; l’œuvre date de 1969, cinquante années après, bien tard.