Il y a le texte, il y a l’image, l’un appelant l’autre, celle-là corroborant le premier ; il faut les deux (et pour l’image, une photo ou un dessin) pour faire une bonne page de journal (le temps n’est plus au puritanisme de jadis, d’un Beuve-Méry par exemple). Plus de 150 images, sur de simples panneaux au sol, de dimensions variées, déploient à Neimënster le concours de World Press Photo 2020, font donc remonter à l’année 2019, véritable tour d’un monde qui va mal, dira-t-on. Le talent des photographes n’essaie nullement de le cacher, au contraire, la plupart du temps ils nous le révèle, voire l’accentue sans pitié. En couleur, en noir et blanc.
Les dessinateurs de presse, eux, n’ont pas la tâche facile ces derniers temps. On les assassine, des journaux ne veulent plus de leur service, d’autres demandent pardon aux lecteurs qui auraient pu être blessés ou choqués. C’est que le dessin donne sa propre image, jusqu’à la caricature, de la réalité. La photo y garde toujours partie liée, impossible d’en vouloir au photographe. Bien sûr, la tricherie n’est pas exclue, on peut embellir, on peut retrancher, ici des cigarettes (aux lèvres de Malraux ou de Sartre), là un politique tombé en disgrâce à la tribune de premier mai. Le concours World Press Photo interdit pareils tours de main.
Sans voir fait un décompte exact, la majorité doit être forte des images qui, certes, impressionnent, mais qu’on aimerait mieux ne pas voir : catastrophes naturelles, comme les incendies de Californie ou d’Australie, cyclone aux Bahamas, et plus nombreux encore, les conflits, les attaques terroristes, les manifs avec leurs heurts des forces de l’ordre, aux quatre coins du monde, Soudan, Syrie (et la misère des camps), Kenya, Hongkong, et j’en passe. Peut-être plus que ces accidents (au sens premier) qui font la une un temps plus ou moins court, trop long de toute façon, toutes les images qui font état d’un mal qui ne cessera plus, ne fera qu’empirer : des ours blancs qui risquent de perdre pied sur le reste de glace, un lac salé en Iran qui se dessèche (on notera qu’il faisait en surface deux fois le Luxembourg). À côté des hommes, que d’espèces animales mises à mal, les singes, les tigres, les lynx jusqu’en Espagne, et les pangolins, pauvres fourmiliers écailleux à qui on a trop vite fait endosser la saloperie virale.
On voit, pas de quoi se réjouir. Un peu de baume au cœur viendra des reporters sportifs. Pas tellement des photos montrant des supporteurs en liesse, où il est quelquefois difficile de faire la différence, entre les ultras torse nu, les bras levés ou écartés, et tels suprématistes américains non moins tatoués. Non, la préférence ira aux Gazelles, dans le nord du Bénin , jeunes femmes pratiquant le foot sur un terrain sans une touffe de gazon, ou ces messieurs âgés du Tokyo’s Fuwaku Rugby Club (le Japon a une population de plus de 65 ans à 28 pour cent).
Le concours de World Press Photo répartit les pièces qui participent en huit catégories, allant des actualités à l’environnement et au sport. L’éventail est large, en plus, il distingue les photos prises isolément, les « singles », et celles qui en nombre, les « stories », veulent nous en apprendre plus, et peuvent même être des « long-term projects » comme pour l’Algérie par Romain Laurendeau. Le métier le veut ainsi, de même sans doute l’attente des rédactions et les goûts du jury, les distinctions vont souvent à des photos montrant des groupes, des manifestants autour d’un leader, d’une égérie... Là, sur le travail du lauréat, Yasuyoshi Chiba, c’est un jeune Soudanais récitant de la poésie de protestation, éclairé par les portables de ses compagnons. Autre type de photo bienvenue, des témoignages de deuil, de douleur, de tristesse, comme cette mère et son fils revenant à l’endroit vide où s’était trouvée leur maison avant l’incendie.
Ces photos, en toute logique, ont besoin d’un contexte qu’on lira sur les panneaux. Ce n’est pas le cas des dessins de presse, et il arrive que des photos parlent d’elles-mêmes elles aussi : voilà le mur entre le président Trump et le Mexique des fils de fer barbelés qui s’enroulent à l’infini, une route parallèle, rien sur cette route, rien qu’un oiseau qui fait face. Formellement, c’est net, conceptuellement, c’est clair, c’est limpide. Rien à ajouter.
Une dernière remarque, en parallèle à l’exposition. Nos reporters photographes ont depuis peu une terrible concurrence, tous ces gens prêts à dégainer leur portable, vous avez vu les images de l’interpellation du producteur de musique parisien Michel Zecler, combien de fois la vidéo est passée à la télé. Ce qui a permis de qualifier l’événement d’agression et de déterminer les responsables. On attendra 2022 pour retrouver peut-être Bernie Sanders et ses moufles.