Une exposition, que ce soit dans un musée ou une galerie, une fois la porte d’entrée poussée, c’est des fois, quand c’est réussi, la découverte d’un autre monde ; on est dépaysé, une distance s’établit, vous aurez constaté le préfixe qui le souligne. Martine Feipel et Jean Bechameil jouent parfaitement de ce détachement auquel ils nous invitent, nous forcent même, qui peut aller jusqu’au dévergondage, d’aucuns se rappelleront avec plaisir la façon dont ils avaient, il y a une dizaine d’années déjà, glissé ou construit leur univers distordu, disloqué, dans le palais qui servait alors à la représentation luxembourgeoise à la biennale de Venise.
Le propre de leurs installations, de leurs sculptures, c’est leur familiarité, en même temps que leur étrangeté. Et ce paradoxe est source non pas d’inquiétude mais de salubre interrogation, de questionnement. Prenons un autre exemple, les blocs de grands ensembles d’habitation, transplantés aujourd’hui du pavillon parisien de l’Arsenal à la devanture du Konschthaus d’Esch-sur-Alzette. De la sorte, notre environnement, nos habitudes, sont passés au crible de l’art, en subissent le coup d’œil ensemble critique et poétique. Dans l’exposition de la galerie Zidoun-Bossuyt, au Grund, en ces temps de confinement, c’est au tour de la nature, un peu d’évasion ne fait pas de mal, et le visiteur, dès les premiers pas, n’a pas de peine à reconnaître la façon de faire des deux artistes.
Le souci de réduction, de pureté des Feipel et Bechameil peut aller très loin, comme dans telle pièce de résine acrylique qui nous accueille, posée contre le mur sur deux morceaux de bois : des découpes (de troncs d’arbre peut-être) qui tombent d’un côté, de l’autre des striures viennent accentuer un aspect décoratif qui ramène à l’époque du modernisme, plus accusé ailleurs, dans les bas-reliefs, dans des œuvres (toujours dans cette délicate blancheur de la résine) qui s’apparentent, comme des fantômes revenus de loin, à des masques (cette fois-ci des arts premiers revus). Toujours au premier contact, une sculpture qui se dresse et dans laquelle il n’est pas difficile de reconnaître le simulacre (ou dira-t-on l’allégorie) d’un arbre : en trois morceaux toutefois, superposés, de la céramique émaillée en haut, puis une partie résine de nouveau, empreinte fidèle d’un fragment de tronc, et comme socle enfin, du bois pour de vrai, découpé rectangulairement.
On aura, en plus des formes épurées, dès l’abord remarqué comment Martine Feipel et Jean Bechameil choisissent leurs matériaux et leur traitement. D’une part, pour insister juste sur ce contraste, la résine qui donne jusqu’aux objets les plus saisissables quelque chose d’immatériel, propre à la rêverie, de l’autre, voilà une bannière qui flotte (était-elle, le sera-t-elle, portée dans quelque manifestation), qui reprend des formes géométriques élémentaires, en y ajoutant de la couleur. Cette dernière se retrouve dans des peintures où la nature se déploie plus ostensiblement, tronc et branches d’arbre, des bouts peut-être en éclosion, un oiseau juché et prêt à l’envol.
Avant de pousser plus loin, au bout de la galerie, la grande salle et son mur frontal, on se sera arrêté à des œuvres où les artistes ont introduit de la robotique, un moteur qui en fait bouger une partie, et quand il s’agit d’une radio portative avec cassette, bienvenu au souvenir, à un brin de nostalgie, comme le temps passe vite, avec ses innovations, ses révolutions.
On nous dit que l’exposition intitulée While you sleep (appartiendrait-il à l’art de sonner le réveil), Martine Feipel et Jean Bechameil l’ont conçue et réalisée pendant le confinement justement. Bouquet final, au mur frontal déjà signalé, une douzaine de nids d’oiseaux, en céramique, de toutes les formes, de toutes les couleurs, et pourquoi ne pas dès lors leur trouver, en plus de leur fonction d’abri, de refuge, comme un point de départ, un tremplin pour un nouvel élan. Ils sont là, au mur, drôle de danse, voire de ballet, dans leur profusion esthétique qui n’enlève strictement rien à leur usage usuel. Et dans cette exposition où la nature est avec la plus grande rigueur, autant de bonheur, passée au crible de l’art, les deux font bon ménage, viennent s’épauler l’un(e) l’autre.