Le sujet est sensible, très sensible. C’est pourquoi la Commission a décidé, le 20 août, d’octroyer quelques mois supplémentaires aux partenaires sociaux pour négocier la révision de la directive temps de travail, prolongeant la date limite pour un accord, initialement fixée en septembre, jusqu’au 31 décembre 2012. Le commissaire européen en charge de l’emploi, László Andor, se veut encourageant : « J’adresse aux partenaires sociaux tous mes vœux de succès dans leurs négociations sur ces questions très importantes. La Commission entend leur apporter tout appui qu’ils jugeraient utile ». Business Europe, la CES (Confédération européenne des syndicats), le CEEP (Centre européen des entreprises fournissant des services publics) et l’UEAPME (Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises) sont, en effet, assis à la table des négociations depuis novembre 2011 pour parvenir à un compromis satisfaisant sur ce pan très critiqué de la législation sociale européenne.
À l’origine de ce dossier social à rebondissement : la directive sur l’aménagement du temps de travail de 1993. Le texte ne visait pas à harmoniser la législation du travail au sein de l’UE mais à fixer des seuils a minima laissant les États libres d’élaborer des normes sociales plus protectrices. La France a ainsi pu adopter la semaine des 35 heures en 1997, alors que la directive prévoit un seuil maximum de 48 heures de travail hebdomadaire. C’est précisément la définition de normes aussi minimales qui a toujours fait craindre aux syndicats une dynamique à la baisse des acquis sociaux en Europe.
Les deux points les plus litigieux concernaient – et concernent toujours – le temps de garde et la dérogation (« opt out ») demandée, entre autres, par le Royaume-Uni à la semaine de 48 heures. Ces dérogations permettent aux États de dépasser, sous certaines conditions, la limite imposée par l’Union européenne. Est également en jeu la période de référence de quatre mois sur laquelle sont comptabilisées ces 48 heures qui pourrait être revue à la hausse. Le deuxième point sensible, le temps de garde, a quant à lui fait l’objet de cinq arrêts de la Cour de justice entre 2000 et 2005 (Simap, Jaeger, Pfeiffer, Feuerwehr Hamburg et Dellas), qui assimilent le temps de garde à du temps de travail et établissent qu’un « repos compensateur équivalent » doit suivre immédiatement les heures de garde.
Bataille institutionnelle et retour à la case départ
C’est pour mettre de l’ordre dans ces questions que la Commission avait déjà proposé en 2003 aux partenaires sociaux de se saisir du dossier, mais ceux-ci avaient à l’époque refusé. Une directive modifiée avait donc été soumise aux co-législateurs, mais finalement enterrée en avril 2009. En effet, alors que le Conseil s’était prononcé en faveur du maintien de l’« opt out » à la demande des Britanniques, de l’Irlande et des nouveaux États membres, le Parlement avait voté sa suppression par 421 voix contre 273. De même, une ligne de fracture était apparue entre les deux institutions au sujet du temps de garde que, contrairement aux États membres, les eurodéputés voulaient voir assimilé à du temps de travail.
Face au blocage politique et institutionnel, la Commission a décidé en 2010 de revenir à la case départ en saisissant à nouveau les premiers concernés : les partenaires sociaux. Ils ont cette fois accepté d’entrer dans le jeu de la négociation. C’est pourquoi le commissaire László Andor a donné un nouveau délai et la pression est forte pour aboutir à un accord après dix ans d’échec.
Omerta avant une issue positive ?
« Nous ne voulons pas communiquer avant d’être parvenus à un accord car c’est une négociation très sensible » ont invariablement déclaré les partenaires sociaux joints au téléphone par le Land. La prudence est donc extrême dans la capitale européenne. Marc Kieffer, qui suit de près les négociations européennes pour la Fedil, explique cette réserve par l’incertitude qui entoure souvent les accords sociaux jusqu’à la signature finale : « Parfois, pendant les négociations, nous pensons avoir éclairci certains points importants. Ce n’est qu’au moment de la rédaction finale que nous nous apercevons que les parties avaient une lecture différente ».
Les acteurs concernés se montrent cependant confiants dans la conclusion d’un compromis avant la fin de l’année. La Commission européenne note, d’ailleurs, que des « progrès ont été enregistrés » depuis l’ouverture des discussions. Selon une source bruxelloise proche du dossier, le patronat pourrait lâcher du lest sur la question des heures de garde tandis que le syndicat européen pourrait se montrer un peu plus flexible dans ses exigences concernant les 48 heures de travail hebdomadaires. Un aboutissement rapide ferait, d’ailleurs, le bonheur de Chypre qui a placé l’emploi, la cohésion sociale et la participation des parties prenantes au cœur de sa présidence.