Malgré un avis positif d’experts scientifiques et le feu vert des États membres, la Commission a persisté à refuser d’autoriser la mise sur le marché d’un médicament soignant une maladie orpheline. Cette obstination soulève plusieurs interrogations, dont certaines sont en cours d’examen par les juges du Tribunal de l’UE. Le Parlement a sommé pour sa part l’exécutif européen de venir s’expliquer devant lui.
L’Orphacol est destiné à soigner une maladie orpheline du foie engageant le pronostic vital (90 cas recensés en Europe). Initialement découverte en 1992, par un laboratoire public, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, la substance active de ce médicament a été utilisée pour soigner 19 patients en Europe. En 2007, les droits ont été acquis au laboratoire CTRS, qui pour commercialiser le remède a soumis un dossier à l’Agence européenne des médicaments (AEM) en octobre 2009.
Selon la procédure, la Commission décide de l’octroi ou non d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), après avoir obtenu un avis positif de l’AEM et l’approbation des États membres. Or, l’AEM a émis un avis positif par deux fois en décembre 2010 et avril 2011, mais la Commission a soulevé des réserves parce que la bibliographie scientifique fournie fondée sur l’expérience comme préparation hospitalière ne serait, selon elle, pas suffisante et a demandé aux 27 réunis en comité d‘examen de refuser leur aval jusqu’à l’obtention d’études cliniques plus larges. Elle n’a pas non plus été suivie deux fois de suite par les 27, mais elle n’est pas obligée pour autant d’autoriser l’AMM. S’ensuit un blocage inextricable.
Principe de précaution ou carence ?
Le laboratoire CTRS a, en janvier 2012, saisi la Cour de justice de l’UE pour arbitrer ce litige. Il a en effet introduit un recours en carence, arguant que la Commission aurait dû prendre une décision finale dans les 15 jours suivant la consultation du comité d’examen. La France, la République Tchèque et le Royaume Uni ont soutenu CTRS et ont contesté la possibilité pour la Commission de convoquer sans fin les États membres jusqu’à l’obtention d’un résultat qui lui convienne. Les juges ont accepté de recourir à une procédure accélérée et ils établiront vers la mi-juillet si la Commission a voulu, en vertu du principe de précaution, s’entourer de toutes les garanties nécessaires à la sécurité des patients européens.
Pour CTRS, Orphacol, utilisé depuis plus de dix ans, peut se réclamer d’un« usage médical bien établi » et déroger à la procédure ordinaire d’AMM, autrement dit fournir les résultats des essais toxicologiques, pharmacologiques et cliniques n’est pas nécessaire. L’AEM est du même avis. Bien plus, CTRS souligne que procéder à un nouveau programme clinique sur des patients traités impliquerait de retirer le médicament aux malades, les mettant en danger de mort.
Nouveau rebondissement, le 25 mai dernier, la Commission a enfin obtenu la possibilité formelle du refus de l’AMM à l’Orphacol, car les États membres n’ont pu réunir la majorité qualifiée requise pour s’y opposer, l’Italie et l’Espagne n’ayant pas voté. Ce qui change la donne et a conduit les juges à reporter leur arrêt.
Les députés européens de la commission environnement et santé publique se sont aussi intéressés à « l’affaire » et ont demandé des explications à la Commission, le 21 juin dernier. Celle-ci campe sur ses positions : « les exigences strictes de la législation n’ont pas été respectées », a déclaré Patricia Brunko, en charge de ce dossier. C’est justement « parce que nous avons continué à chercher des solutions », qu’il y a eu ces votes à répétition. Ce serait donc le contraire d’une carence.
Pour le député Gilles Pargneaux (S&D, France), il y a là un « scandale Orphacol », « la Commission semble avoir tout mis en œuvre pour faire obstruction à ce dossier (…) en vue de favoriser certains intérêts industriels », écrit t-il sur son site. Il s’interroge sur le fait que les arguments de la Commission soient « mot pour mot ceux d’un laboratoire américain qui produit un médicament concurrent de l’Orphacol » et dit détenir la preuve que Bruxelles a « contacté ce concurrent pour obtenir des informations que normalement la Commission aurait du demander à l’AME. Il est à noter que ce candidat-médicament américain est en cours d‘évaluation depuis mars 2012 à l’EMA et qu‘il n‘est même pas encore autorisé dans son pays d‘origine ! »