Les Grecs ont bon dos. Une réforme du « code frontières » de l’espace Schengen s’imposerait surtout en ce moment parce que le gouvernement grec serait incapable de sécuriser suffisamment ses frontières, trop perméables aux immigrés économiques qui, en entrant sur le territoire grec, par exemple en venant de Turquie, entrent d’office sur un territoire européen ouvert. Avant eux, c’était la faute aux Italiens, accusés d’avoir laissé passer en France des immigrés africains arrivés en nombre à Lampedusa et pour lesquels le gouvernement italien demandait une certaine solidarité européenne – solidarité qui allait s’avérer illusoire et que Silvio Berlusconi força finalement en attribuant des permis de séjour et donc de voyage à tour de bras.
Voilà les deux exemples qu’aiment à évoquer les ministres européens de la Justice et des Affaires intérieures pour justifier leur accord sur la question de la réforme de l’espace Schengen trouvé le 7 juin lors de leur conseil au Luxembourg. Cet accord permet un rétablissement des frontières intérieures de l’Europe pour une durée pouvant aller de six mois à deux ans, entre autres pour cause de « manquements graves persistants aux frontières extérieures » d’un des pays membres.
Même si le choix des mots a changé, il s’agit du même spectre d’une immigration clandestine massive qui déstabiliserait l’Europe et son économie évoqué par l’ancien Président français Nicolas Sarkozy (UMP), très fortement inspiré du discours de l’extrême-droite, durant sa campagne électorale, n’hésitant pas à promettre la sortie de la France de l’espace Schengen si les frontières extérieures ne devenaient pas plus sûres. Il avait même réussi à obtenir le soutien de l’Allemagne sur la question.
« Les quinquas et les quadras qui régissent en Europe aujourd’hui ne savent plus ce que c’est que des frontières, » regrette le député socialiste et président de la commission des Affaires étrangères et européennes de la Chambre luxembourgeoise, Ben Fayot (né en 1937). Parce que « toutes les guerres ont toujours été menées à cause des frontières », il qualifie les débats actuels sur la réinstauration de ces frontières intérieures – dont l’abolition en 1995 fut fêtée comme une des principales avancées de l’intégration européenne –, comme « un processus extrêmement grave ». Si la commission ne s’y est pas penchée plus en profondeur pour prendre position jusqu’à présent, explique-t-il, c’est parce que le ministre de l’Immigration Nicolas Schmit (LSAP) n’avait pas encore trouvé le temps pour venir répondre aux questions des députés, mais cela devait se faire lundi prochain.
Ce ne sera plus nécessaire, car les députés verts François Bausch et Felix Braz ont désormais pris les devants en demandant, dans une lettre datée au 12 juin, une heure d’actualité sur cette réforme et les décisions du conseil des ministres, heure d’actualité qui vient d’être fixée à mercredi prochain, 27 juin, en séance plénière. « Nous avons demandé cette heure d’actualité parce que nous voulions que tous les groupes et sensibilités politiques soient forcés à afficher la couleur sur cette question, souligne Felix Braz. Le Luxem-bourg a voté pour l’accord du 7 juin, or, pour nous, Schengen équivaut vraiment au principe même de la libre-circulation, qui est une question fondamentale et symbolique en Europe ! » D’ailleurs, il s’attend à un large consensus au parlement mercredi, un consensus contre l’accord des ministres européens.
La principale opposition à la décision des ministres de l’Intérieur vient de Bruxelles et de Strasbourg, de la Commission européenne, à l’origine de la proposition de texte sur la réforme de l’espace Schengen, et du Parlement européen, qui est, dès la semaine dernière, parti en guerre contre le conseil des ministres. Sur des questions procédurales d’abord, les ministres ayant décidé de saper le principe de la codécision en fixant une méthode intergouvernementale pour évaluer la nécessité d’introduire les contrôles aux frontières plutôt qu’une méthode communautaire.
Le Parlement européen a voté le 14 juin le blocage des négociations avec les gouvernements européens sur plusieurs dossiers, et est en train d’analyser la possibilité d’un recours contre la décision du 7 juin devant la Cour de justice européenne. « Nous nous battons sur la forme, donc la procédure d’une part – il faut que la codécision du Parlement soit respectée –, mais aussi et surtout sur le fond, » explique l’euro-député vert luxembourgeois Claude Turmes. « Si le débat a pris une telle virulence, c’est parce que nous touchons ici à la substance même de la démocratie – et de l’Europe ! »
Pour lui, cette sortie des ministres n’est pas un hasard, mais l’écho d’une virée à droite des gouvernements européens, 20 ministres sur 27 désormais. Et la date de la discussion aurait été mal choisie : juste avant le premier tour des élections législatives françaises, le nouveau ministre de l’Intérieur socialiste Manuel Valls n’allait pas encore oser changer complètement de cap dans ce dossier. « Il faudrait maintenant que la Commis-sion, qui se dit solidaire avec le Parlement, fasse preuve de courage et qu’elle retire et remplace sa proposition de texte, » espère Claude Turmes. Le sujet figurera également à l’ordre du jour du Conseil européen à la fin du mois.