Au Luxembourg, il n’existe pas d’espace, avec ou sans murs, dédié uniquement à la performance art. La Konschthal programmera des artistes qui activeront des performances historiques, la saison prochaine. Le Casino Luxembourg - forum d’art contemporain par la voix de Stilbé Schroeder, se pose des questions justifiées quant à la place de la performance en général. Et au Mudam, s’ouvre en octobre, une exposition, intitulée After Laughter Comes Tears. A performative exhibition in four acts. Cette exposition consacrée entre autres à la performance art marque la deuxième édition de la Mudam Performance Season, démarrée en 2021. Elle sera articulée comme une « exposition performative », et réunira les œuvres de 34 artistes qui se meuvent dans les domaines de la performance art, de l’installation mais aussi de la vidéo art. Le titre fait référence au morceau After Laughter (1964) de Wendy Rene, chanteuse et compositrice de soul américaine. L’exposition s’organisera en quatre actes, comme une pièce de théâtre classique. Elle proposera une définition plus large de ce qu’est la performance art en y incluant directement le film et l’installation, l’exposition en elle-même ainsi que sa scénographie, comme autant d’objets performatifs. L’ancrage de la performance art dans un espace muséal, où elle figure d’habitude comme un évènement éphémère de passage, est remarquable.
En terme de thématiques abordées, l’exposition dissèquera le néolibéralisme, capitalisme dans sa probable dernière phase, dans lequel nous avançons dans nos sociétés respectives, soit dans sa forme concrète, soit dans une forme espérée-rêvée. Comme l’addition est salée et qu’il semble que nous foncions droit dans un grand mur, celui de la crise climatique et de toutes ses conséquences, les incohérences monstrueuses entre ce qui est dit et ce qui se fait est dramatique.
L’une des curatrices de l’exposition, Joel Valabraga (l’autre est Clémentine Proby) assure que le rire ou plutôt l’humour, pourra détourner légèrement de la tragédie annoncée et détendre l’atmosphère. L’exposition commencera juste après les élections législatives. Nous aurons avalés les slogans mièvres et surannés de tous les partis politiques et leurs mauvaises affiches. Imaginer que cette exposition en sera une sorte d’exutoire, reste sans doute pour la bulle du public qui suit, un rêve. Le rire sera forcément jaune.
Pour cette exposition, il y aura des artistes de réputation internationale, entre autres Artur Zmijewski, Agnieszka Polska, Monira al Qadiri et aucun artiste luxembourgeois ou basé ici. Ceci un constat. La discussion de savoir si les institutions culturelles portent une certaine responsabilité ou pas de soutenir les artistes locaux, de les faire avancer, est une autre. Je ne la mènerai pas ici.
Depuis les débuts dans les années 1970, les performances art permettent un débridement et une expression artistique plus marquante des femmes. Elles se positionnent dans le domaine notamment à travers leurs corps. Elles ont détourné l’objet qu’elles ont été pour en faire véritable sujet de réflexions : la féminité, la force et la vulnérabilité, l’âge et le vieillissement aussi, le pouvoir. Malheureusement, certaines performances d’aujourd’hui sentent un peu le coup de marketing, la réflexion y manque et les actions demeurent banales, bien qu’annoncées comme politiques et radicales. N’est pas Anne Imhof qui veut. L’artiste qui a reçu le Lion d’or à la Biennale d’art de Venise en 2017 bouscule, choque, mais englobe une certaine réalité, la reflète, celle de l’abandon.
La pratique de la performance art au Luxembourg ne date pas du Futurisme, elle démarre avec des happenings dans les années 60, 70 avec des artistes comme Berte Lutgen et Misch Da Leiden, mais dans une forme un plus revendicative, s’inscrivant dans le mouvement international de révolte contre un ordre établi, le post-colonialisme, le patriarcat, l’homophobie, la xénophobie et la misogynie. À souligner que Berthe Lutgen est cofondatrice du groupe d’artistes Arbeitsgruppe Kunst en 1968 et du « Groupe de Recherche d’Art Politique » (GRAP). En 1971, elle crée le « Mouvement de Libération des Femmes » (MLF) à Luxembourg et de 1979 à 1996 et elle enseigne l’éducation artistique à Luxembourg. Cette figure impressionnante de l’art contemporain a récemment été primée par le prix Lëtzebuerger Konschtpräis (2022) - un début.
Cependant ici, en général, le théâtre, puis la musique ont davantage joué le rôle de catalyseur que les arts plastiques ; même si aujourd’hui, les performances théâtrales, musicales ou dansées, sont des performances interdisciplinaires. Elles sont généralement inscrites dans un cadre précis, peu dans la confrontation directe avec le public et certainement moins dans une nature radicale et plus éphémère et de fait plus surprenante. Il se peut que ce soit la raison de la confusion autour du terme de « performance » (voir le premier volet de la série, Land du 25/08/2023). C’est précisément la raison pour laquelle, j’utilise la notion de « performance art », en langue française.
Il existe aujourd’hui des artistes qui incluent la performance art dans leur pratique. Trixi Weis qui présentera sa performance Economy class en octobre prochain dans le cadre de l’exposition Hors-d’œuvre au Cercle Cité. Marco Godhino, représentant du Luxembourg à la Biennale de Venise en 2019, a une pratique qu’il nomme des « gestes performatifs » inscrits dans la poésie qu’il active à différents moments clés, notamment lors de ses vernissages, au moment de pleines lunes ou tout simplement chez lui. Sophie Jung, qui évolue davantage en Suisse reprend régulièrement son activité d’artiste performative, en s’identifiant plutôt à une comédienne sur une scène de théâtre, des improvisions préparées. Il y a Mike Bourscheid, qui lui aussi a représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise en 2017 travaille les identités diverses, les corps et leurs déguisements. Je pense aussi à Catherine Elsen qui pratique la performance art, proche du théâtre au départ et qui s’aiguille de plus en plus dans le cadre des réalités étendues. Puis Clio van Aerde (souvent avec Aurélie d’Incau) qui vient du théâtre et qui a entrepris depuis peu des études en performance art aux Pays-Bas. Et pour finir, il y a aussi Aïda Schweitzer, elle performe seule ou en groupe autour des questions du corps féminin, de ses implications diverses, sociétales, politiques et historiques. L’année prochaine, le représentant du Luxembourg sélectionné pour la Biennale d’art à Venise sera Andrea Mancini, un artiste qui a une pratique autour de la musique performative, de la video art et de l’installation.
Pour clore cette navigation à travers la performance art, je reviens vers le terme. Il est né dans les années 70, mais je ne pense pas que quiconque soit capable de retrouver la source exacte. Pendant un certain temps, nous n’appelions pas cela de la performance art. Il s’agissait d’événements, d’actions, de happenings. Il y a eu aussi, les sculptures vivantes de Gilbert & George. Nous avons eu du théâtre de danse, des lectures de poésie et les « partitions » de Fluxus. RosaLee Goldberg, curatrice, critique, historienne et enseignante a trouvé le terme de live art, dans son livre référence Live Art 1909 to the Present. Quant à la nature de la performance art, Goldberg considère que la performance est la clé de voûte du processus créatif d’un artiste visuel. Dans le cadre de Performa (organisation bien connue pour son festival de la performance art qui a lieu tous les deux ans dans divers lieux et institutions de la ville de New York) Golberg a suivi des artistes apparus dans les années 1960 et 1970, à l’apogée du conceptualisme, elle considérait la performance comme un art à contre-courant de la nature commerciale, un art qui ne pouvait être ni acheté ni vendu. Le temps et le marché de l’art vorace ont tourné en dérision cette idée utopique. Aujourd’hui, les musées ont des départements d’art de la performance et les universités le considèrent comme un programme de recherches, bien que séparé du canon de l’histoire de l’art. C’est là que réside le problème pour Goldberg, qui malgré la réalité du cloisonnement peut citer un exemple après l’autre d’artistes visuels dont les œuvres emblématiques sont issues d’actions en direct exécutées devant un public sur des scènes de théâtres, des cabarets, dans les rues ou devant une caméra. « Au fait, même Léonard de Vinci faisait de la performance », a-t-elle déclaré.