Elle nous attendait sur le pas de porte de la petite maison de L’Ermitage, qui est le lieu d’habitation et de travail des artistes en résidence de la commune de Clervaux. Son chien à ses pieds ne nous a pas fait un accueil frétillant. Diego s’est blessé aux vertèbres, nous dit Chantal Maquet et n’a absolument pas le droit de sauter.
Le chien ne nous a pas suivies, quand, avant de rentrer dans la maison, Chantal Maquet nous a fait visiter son potager dont elle est très fière. Devant la petite maison, chaulée de blanc, poussaient (on était à la mi-août), pommes de terre, courgettes, tomates et les fameuses Faschtebonen, « le » haricot luxembourgeois par excellence, des betteraves, des blettes aux nervures rouges, violettes, blanches, jaunes (ces couleurs !) « Quel est votre jardin idéal ? », nous a-t-elle demandé d’emblée ?
« Vous avez un jardin ? Enfant, votre famille avait un jardin ? Quels sont vos souvenirs liés au jardin ? Qu’est-ce qui vous vient spontanément à l’esprit quand je dis le mot jardin ? » Ces questions et les réponses des volontaires qui ont répliqué à son appel à projet, on les entendra dans l’exposition au Cube 521. C’est la partie sonore des trois volets de son projet. On s’est demandé comment une citadine comme Chantal Maquet (elle vit habituellement à Hambourg), peut se sentir aussi bien tout au nord du Luxembourg, avec son micro-jardin devant cette mini-maison aux pièces petites et basses sous plafond, dont l’une lui a servi d’atelier.
Le mot travail est assurément la clé de la réponse : le calme environnant – la résidence d’artistes jouxte la Lorettekapell sur la rive droite des voies ferrées en venant de la capitale. La vue est imprenable sur la forêt qui entoure Clervaux et depuis la cuisine et la Stuff de l’Ermitage, on voit émerger le clocher de l’Abbaye des Bénédictins. Et puis, à chaque passage, le train fait comme un léger grondement. Cela doit rappeler la ville à la citadine…
On se demandait quand même ce qui l’avait motivée à venir s’isoler ici. Chantal Maquet nous répond qu’elle n’a pas hésité un instant quand la commune de Clervaux l’a invitée à cette résidence. Six mois de travail dans le calme absolu, voilà comment elle a développé le projet Visages d’un Paysage que l’on va découvrir au centre culturel régional.
L’artiste a rencontré les habitants de Clervaux qui ont répondu à sa demande de venir poser pour elle, suivant l’idée que tout le monde a des racines. Tout le monde est de quelque part, même s’il n’est pas né à Clervaux et même parfois très loin de l’Our qui serpente dans le plus grand canton du Grand-Duché. Car il n’y a pas que dans le sud du pays que le Luxembourg est multi-culti. L’expression tellement usitée il n’y a pas si longtemps encore, a depuis été remplacée par let’s make it happen. Le slogan marketing de la volonté d’y aller, de réussite du « Petit Pays ». Sans vouloir affirmer que Chantal Maquet l’a suivi, la deuxième étape du programme de résidence l’est tout de même : intégration et appartenance.
« Être d’ici, ça déclenche quel sentiment chez vous ? » Qu’est-ce qui vous est indispensable pour sentir que vous avez des racines ? » Question complexe, quand on sait que 177 nationalités habitent au Luxembourg. Le résultat du questionnaire, ce sont des petits formats à l’huile sur toile qui surprendront peut-être les visiteurs du Cube 521. Non pas parce qu’ils sont brossés à larges traits, non pas parce qu’il y a parmi eux des personnages publics ou que l’on a telle connaissance ou amie de jeunesse dans le lot. Le résultat a quelque chose de la photo d’identité, prise de face, le visage immobile sans sourire, les yeux regardant droit devant.
Pour peu que l’on connaisse le travail de portraits de Chantal Maquet, elle a rarement peint des visages aussi réalistes, comparé par exemple à Look at me ! I look at you !, un projet de portraits au long cours, qu’elle poursuit depuis 2012. On connaît d’ailleurs mieux ses personnages en groupes, dont les visages et les silhouettes renvoient à des traits et des poses stéréotypés. Réalisés dans une palette reconnaissable entre toutes, des couleurs irréalistes – bleu, rose, violet, jaune – les situations ou scènes renvoient à une analyse critique sociale (What you see is what you get, 2017, Prix Robert Schuman, #Päischtcroisière, 2022, Prix Pierre Werner).
Le positionnement de Chantal Maquet par rapport à l’histoire familiale de ses grands-parents qui ont vécu le racisme ordinaire du Congo belge (Dat huet jo naïscht mat mir ze dinn, exposition monographique), est le dernier de ses travaux que l’on a pu voir à Dudelange en 2021, dans un lieu public au Luxembourg. Avant de découvrir les portraits de Clervaux, on évoquera encore ses portraits d’enfants, Uns verbindet nichts, (2017, Dudelange), Zu Zweit mit Kessi ou Zwei mit Cocker Spaniel, (Burglinster 2018) : figuration post-expressionniste, couleurs irréelles, sans la nostalgie de l’enfance mais l’indéfectibilité et l’ambiguïté du lien, conscient ou pas, de la fratrie.
Qu’est-ce donc qui lie les personnes de Visages d’un Paysage ? Cet « ici » a été une question difficile pour la peintre Chantal Maquet. Peindre leur habitation ? Elle sait faire, comme l’ont prouvé les maisons individuelles de Nuets virun de Dier, (Burglinster 2017) ainsi que la grande ville, qu’elle dépeint de manière critique dans la série Gelebte Utopie, soit Hambourg dans les années 1950, avec ses cités des banlieues déshumanisées.
Chantal Maquet a choisi une autre représentation. Elle s’est dit qu’habiter ici, pour la population locale n’ayant pas nécessairement de lien entre eux, ni tous leurs racines dans la commune de Clervaux, c’était « le » territoire que couvre celle-ci et ses paysages. Elle a donc marché et regardé, parcouru des routes à découvert, dans les forêt et à travers champs, s’arrêtant à des endroits clé : regard qui porte loin, croisement de routes, chemin forestier serpentant dans l’ombre, brusque clairière de lumière… Ces arrêts sur paysage photographiés, Chantal Maquet les a ramenés à l’atelier et peints. Ce qu’on verra des territoires/paysages dans Visages d’un paysage, appartient aux habitants de la commune, la gamme des tons est celle de Chantal Maquet.
Au moment où nous l’avons quittée, restait à Chantal Maquet à éditer et mixer les interviews, à assembler le puzzle des portraits et des paysages. Car finalement, des racines partent des ramifications, comme dans un arbre généalogique. Où que l’on vive et d’où que l’on soit.