Elle admet avoir été très tôt sensibilisée à l’écologie, une conscience environnementale qui a émergé chez elle dès l’école. Née en 1970 à Ostercappeln, en Basse-Saxe, Bettina Steinbrügge, la nouvelle directrice du Mudam, jouit d’une longue expérience d’encadrement et de curation dans diverses institutions culturelles, principalement en Allemagne et en Autriche. Cette attention à la Terre a emprunté par la suite de multiples voies : en découvrant par exemple le travail de certains artistes comme Agnieszka Polska ou Roman Ondak, en suivant dès 2006 des séminaires universitaires sur la durabilité lorsqu’elle évoluait alors à Lüneburg, ou encore en fréquentant les écrits de Bruno Latour, lecture dont elle s’est récemment inspirée pour articuler la responsabilité écologique à la question sociale à travers l’exposition collective Not Fully Human, Not Human at all, conçue en plein confinement en collaboration avec la curatrice française Natasa Petresin-Bachelez. À Hambourg, où elle a enseigné et pris la direction du Kunstverein de 2014 à 2022, elle organise un cycle de conférences et d’entretiens en visio avec un public international désireux d’échanger pendant l’épidémie. Un intérêt pour le public qui ne se démentira pas ces prochains mois, puisque parmi les perspectives du Mudam figure un programme qui se chargera de dévoiler, précise-t-elle, « (…) toutes les facettes de la production artistique d’aujourd’hui ainsi que les débats de société, en faisant référence à l’actualité récente du 20e siècle pour expliquer comment l’art contemporain est né ». Mieux encore, l’année prochaine verra la tenue d’une grande exposition consacrée au thème des musées actuels et de leur lien avec le public, lequel sera invité à participer activement avec l’équipe du Mudam.
Jusque-là épargné par les actions iconoclastes des militants écologistes, des mesures de sécurité supplémentaires ont néanmoins été prises au Mudam. Au cas où... Bettina se dit partagée entre, d’un côté, sa fonction de directrice chargée de préserver des œuvres d’art, et de l’autre la volonté de faire du musée une tribune citoyenne : « Le musée peut être un lieu de dialogue social, car c’est aussi un espace public. J’espère que nous trouverons des moyens intéressants aux problèmes qui se posent, non pas les uns contre les autres, mais ensemble. », dit-elle. C’est d’ailleurs ce qu’elle avait initié à Hambourg en invitant des activistes climatiques à exprimer leurs revendications lors d’une exposition. Bettina Steinbrügge éprouve une certaine sympathie à leur égard : « J’écoute souvent la jeune génération qui s’organise au sein de Fridays for Future et de Dernière Génération, et qui a un intérêt légitime à ce que nous leur laissions un monde où il fait bon vivre. Je trouve que leur criminalisation n’est vraiment pas justifiée, même s’il faut parler des méthodes. Ces activistes attirent l’attention sur un problème auquel nous devons tous faire face. Le fait que les jeunes veuillent tout obtenir plus rapidement et que tout se passe très lentement, surtout dans une démocratie, est une réalité. C’est le privilège de la jeunesse d’être plus radicale que le reste de la population », conclut-elle.
Cela dit, il n’est guère évident de vivre pleinement en cohérence avec ses principes, ainsi que le souligne en tout honnêteté Bettina Steinbrügge : « J’utilise régulièrement l’avion et je fais beaucoup d’autres choses que je ne devrais pas faire. Mais j’essaie de trouver des solutions pour ma vie personnelle et professionnelle. Il en est de même en société. Il s’agit d’évoluer et de trouver des solutions à nos problèmes et à nos défis. C’est un processus qui prend du temps. » Joignant l’écologisation curatoriale aux changements internes des processus de travail, Bettina Steinbrügge met en avant les initiatives qui ont déjà été prises au Mudam : passage de l’impression papier à la numérisation, forte réduction du photocopiage, diminution des consommations d’énergie et de l’eau (respectivement à hauteur de 15 et 30 pour cent), tandis que les brochures sont progressivement remplacées par des QR codes. A été décidé également de mettre fin à l’éclairage nocturne du Mudam : autant de petits gestes qui contribuent à l’effort de guerre général. Au niveau curatorial, les écueils sont nombreux — utilisation de matériaux en bois et en plastique, distance des transports accrue avec la mondialisation, climatisation… « Nous avons une surproduction d’art contemporain, déplore-t-elle, d’autant plus que les installations sont désormais produites en grand nombre. Je trouve cela absurde. Nous devrions plutôt parler et nous concentrer sur la qualité et la nécessité de nouvelles acquisitions, plutôt que d’en acheter le plus possible pour moins d’argent. Pour nous, la question se pose un peu moins, car nous avons une collection encore jeune. Mais il faut quand même penser à la capacité de stockage et aux ressources de l’équipe. Les dernières années ont été marquées par une grande surproduction au niveau international. Et c’était logique, car plus la programmation est dense, plus on attire l’attention. Avec pour résultat que les équipes des musées n’ont plus le temps de se développer, et à long terme, sont dépassées par la charge de travail. Et puis, le public ne peut pas se rendre six fois par semaine au même endroit. » Là encore, c’est le public et une forme de décélération qui sont au centre de toutes les attentions de la directrice du Mudam. L’intéressée promeut une autre façon de travailler : « Je pense que nous devons privilégier la qualité, prendre plus de temps pour réfléchir aux projets et ainsi consacrer plus de temps à notre public. Cela revient à l’ancien travail des musées, qui était moins orienté vers l’événementiel et donnait plutôt la priorité à la recherche. Nous travaillons actuellement sur un concept. L’amélioration de la qualité de la surface extérieure est un projet important qui me tient à cœur, la construction d’une aire de jeux et une restauration extérieure de qualité pour l’été prochain. » Reste à savoir maintenant si le public sera ou non réceptif à ces initiatives interactives et réflexives. Il est en tout cas, pour Bettina Steinbrügge, l’un des leviers de l’Histoire et de son évolution.