L’exposition n’a pas de titre comme habituellement, ni deux saisons (voir d’Land du 08.04.2022). La Cité de l’Image de Clervaux connaîtra des changements à partir de l’automne et désormais, la commune de Clervaux dirigera seule le projet de photographies en plein air, avec une nouvelle directrice, Sandra Schwender. Nous y reviendrons.
On rappellera brièvement ici l’histoire de cet événement artistique au nord du pays. En 2004 avait été créé Les Jardins à suivre par le Parc naturel de l’Our et la commune de Clervaux pour mieux faire connaître, par la photographie, le territoire qui couvre le plus grand espace naturel du pays. Géré par des bénévoles et des élus locaux assistés de deux spécialistes de la photographie, Anke Reitz et Marguy Conzemius du Centre national de l’audiovisuel (CNA), la suite fut assurée à partir de 2008 par Annick Mayer.
Désormais dirigée et financée par la seule commune de Clervaux, l’association dissoute, la jeune et talentueuse Annick Meyer ayant décidé de ne plus participer à la suite du projet, c’est Anke Reitz du CNA, par ailleurs conservatrice de The Family of Man au château, qui a conçu la programmation de la Cité de l’Image 2023. Elle a choisi de montrer six photographes luxembourgeois, une manière de souligner l’engagement du CNA pour la photographie et la qualité du travail des artistes nationaux. Son choix s’est porté sur Marie Capesius, Véronique Kolber, Boris Loder, Bruno Oliveira, Marc Schroeder et Jeannine Unsen.
Pour les connaisseurs de la scène luxembourgeoise, ils ne sont pas des inconnus. On a pu voir ces dernières années toutes ou partie des photos exposées en plein air autour du château de Clervaux, mais, dans la vallée qui accueille la petite cité des Ardennes, que les bois enchâssent comme un joyau, les sujets se révèlent autrement. On pourra s’y rendre jusqu’à la mi-octobre pour constater sur le parcours des six « stations » d’exposition, que l’image fonctionne d’une manière particulière avec le site et peut-être mieux même que dans le traditionnel white cube des musées et des galeries.
Il se passe en effet quelque chose comme un « répond », terme choisi à dessein plutôt que dialogue et accord ou à l’inverse, contraste et opposition. C’est le cas quand on arrive par la Grand-Rue, qui mène aux ruelles et venelles circulaires autour du château. La bute où celui-ci est perché, implique des murs de soutènement, où dans les niches entre les contreforts, est exposée la série Particles (2016-2019) de Boris Loder. On sait l’origine du projet (qui a d’ailleurs donné lieu à une publication du même nom). Boris Loder a glané entre un campus scolaire de Luxembourg-ville et son domicile, des rebuts de la société de consommation : mégots de cigarettes, canettes, emballages de chewing-gum, etc. Enserrés dans des cubes transparents, ils sont devenus une masse comprimée et compacte de consommation jetée, transformée parfois même avec du terreau capable de faire germer des graines ramassées entre les déchets. Ce constat de sur-plus fonctionne particulièrement bien sur cette rue ouverte à la circulation. On peut se garer mais désormais, on longe des commerces vides où ne vivotent plus que les magasins d’électro-ménager, campings des environs aidant.
Plus loin, Place du marché, à flanc de coteau du rocher, voici l’« exotisme du Cap-Vert » (Coentro è Cachorros, 2018) de Bruno Oliveira. Mais une façade peinte là-bas est-elle si différente d’un mur graffé ici ? Les espèces végétales sont évidemment différentes mais menacées d’extinction comme ici. Les orchestres de rue égalent les fanfares de nos cités dont le répertoire est sans doute parfois être le même : rappelons que vivent plus de 170 nationalités différentes au grand-duché. Mais contrairement au Luxembourg, où les chiens de race sont devenus un signe extérieur de réussite sociale autant que la voiture, Bruno Oliveira s’est laissé guider là-bas par le premier ami rencontré : un chien errant.
Le contraste, dans la Montée de l’Église, est fort. L’atmosphère est paisible, la vue idyllique sur les alentours verdoyants et on ressent comme un recueillement, que l’on soit croyant ou pas, à l’approche de l’église et sur le chemin de l’Abbaye de Clervaux. La série de Véronique Kolber, c’est les rues bondées de New-York (American Diorama – Streets, 2011) alors que la surpopulation touristique n’a pas encore atteint Clervaux. Derrière l’église, peut-être le lieu le plus ingrat des six « stations » du parcours photographique avec son fouillis de plantes sauvages qui recouvrent la paroi rocheuse accidentée, le serpent et le jeune homme (Adam au Paradis ?) fonctionnent bien. Mais, la liberté recherchée au camp de nudisme de la série Héliopolis (2017-2019) de Marie Capesius, est absorbée par la végétation, certes libre elle aussi et semble comme l’homme à la peau tannée, sujet d’un image, comme brûlée par l’exposition plein sud.
L’accord est parfait entre le joli jardin du château, le soin apporté à ses plantation, les broderies de buis et les portraits des femmes qui ont pourtant souffert mais qui sont résilientes, portraiturées par Jeannine Unsen (I love you Baby, 2016-2018).
Enfin, l’abstraction des photographies d’architecture de Marc Schroeder contraste avec le style médiéval du Bra’haus. On a aimé la dualité entre les photographies abstraites de Scenes of the Pandemic (2020) prises durant le Covid-19 et la petite cité proprette et fleurie.