Intégrant la dimension culturelle rhénane, zone d’influence transnationale, le Prix d’Art Robert Schuman récompense depuis 1991 la création contemporaine de l’espace QuattroPole : Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trêves. Vitrine artistique pour des œuvres transfrontières, il propose tous les deux ans une exposition collective de seize artistes de la Grande Région, invités par quatre commissaires, cette année Sandra Schwender, Vanessa Gandar, Katja Pilisi et Bettina Ghasempoor. Distinction la plus éminente de la Grande Région, le Prix a également vocation à œuvrer à la promotion du dialogue international. Cette année, le prix a été remis à l’artiste luxembourgeoise Lisa Kohl. Le jury, marqué par la « poésie visuelle » de son travail a salué « un mélange savant de formes d’expressions photographiques et cinématographiques, plastiques et auditives ».
L’œuvre la plus impressionnante, tant par ses dimensions que par l’indéniable indicible poétique qu’elle fait naître, s’intitule Across (2022). Elle a été créée à Berlin à la Künstlerhaus Bethanien où Lisa Kohl était en résidence. Elle se compose de deux faces et ce qui ressemble à une grande porte offre aussi au spectateur certaines délimitations, à l’instar de fenêtres. Des fenêtres sur le monde singulières puisqu’en émergent des sons. Cette œuvre est donc à appréhender autant par sa dimension visuelle qu’auditive. Un nuage de sons émerge mais son apparence emprunte aussi beaucoup aux cumulus, le bleu et le blanc y prédominant. Lisa Kohl imagine une zone assez indiscernable. C’est précisément ce qui l’intéresse. « Ce qui me fascine, ce sont les espaces sociaux caractérisés par l’absence d’identité » confie t-elle à l’une des commissaires de l’exposition. L’artiste travaille la frontière et le no man’s land et c’est aussi visible dans ses œuvres suivantes, notamment dans la série Halidom.
L’artiste présente cette série de photographies imaginées sur l’île des Canaries en 2022, en Espagne. Des femmes ou des hommes, l’indiscernabilité dans le genre s’y affirme tout autant que dans le lieu (difficilement reconnaissable), se présentent voilés au regard de la photographe, presque empaquetés à la Christo et Jeanne-Claude de Guillebon et paraissent en mouvement. Les tenues diffèrent quand le lieu, lui, semble le même. Les photographies ont été disposées sur un support en bois presque à ras du sol et non accrochées et se trouvent en dialogue avec les collections, plutôt historiques du musée. Ce qui leur confèrent, à elles aussi, une apparence de mouvement ou une forme de mise en abyme de leur mouvement si l’on peut dire.
La dernière œuvre présentée, The Game, joue aussi avec différentes dimensions du médium artistique puisqu’elle présente l’itinéraire de migration d’un jeune Afghan à travers l’esthétique du jeu. À travers une console de jeu son parcours est matérialisé. Il y a donc une distorsion importante entre ce qui est raconté et la manière dont ce discours est produit, qui interroge aussi les frontières du discours artistique. Cette distorsion crée aussi un intense poétique, métonymique de l’œuvre de l’artiste.
Si le travail de la luxembourgeoise Lisa Kohl est très abouti, l’exposition collective des lauréats du Prix d’Art Robert Schuman permet aussi de découvrir les travaux d’autres artistes : notamment les photographies énigmatiques de l’Allemand Felix Noll qui interrogent l’identité et la sexualité. Un Prix qui donne à lire les bouleversements de nos sociétés contemporains et les questions qui les travaillent par l’art, un Prix qui, malgré ses trente ans, s’inscrit résolument dans notre époque.