Boundless Boundaries réunit deux artistes, Alexandre Clanis (né à Bordeaux en 1990) et Anni Mertens (née à Luxembourg en 1995). Le premier travaille la bidimensionnalité de ses peintures avec son corps pour un résultat d’une rigueur totale. La seconde fait du travail de la glaise un exercice enjoué, dont les céramiques au final sont d’une grande maîtrise de la forme, de la cuisson et de la glaçure.
On croyait que la Valerius Gallery avait trouvé un fil rouge avec l’exploration des formes et des couleurs, comme récemment avec Julien Saudubray (d’Land 21.04.2023) ou les recherches sur l’épaisseur de la matière par Natacha Mankowski (In Dust) et bien sûr, Eric Mangen, l’artistes fétiche de la galerie, avec ses couleurs au spay et ses papiers arrachés (Ritsch-Ratsch, d’Land 04.11.2022). Il est question d’autres choses ici.
Les études d’architecture qu’Alexandre Clanis a suivies à La Cambre à Bruxelles puis à Bordeaux lui permettent de ne pas échapper pas à l’esprit de synthèse et à la fameuse injonction less is more de Mies Van der Rohe. Bordelais, il nous fait aussi penser à Richard Long, un artiste du courant du Land Art qui a participé aux débuts d’un des premiers centres d’art décentralisés en France, le CAPC à Bordeaux justement. Il y reste de belles peintures murales réalisées en terre et des chemins de pierre, l’un blanc, l’autre noir sur les terrasses du toit de cet ancien entrepôt de denrées coloniales.
On dirait presque qu’Alexandre Clanis revient à cette expérience du travail avec le corps, dans son atelier où il étale le support par terre. Empreintes blanches, un diptyque, réalisé sur papier kraft et sur bois, avec de la peinture blanche travaillée au pouce, n’est d’ailleurs pas sans rappeler Riverlines de Long à la Hearst Tower à New York (1981). Alexandre Clanis ordonne la peinture appliquée sur son pouce rangée par rangée, comme dans un cahier d’écriture, les lignes du sol de l’atelier marquent des horizontales régulières.
Si on suit le raisonnement d’Alexandre Clanis, « avant la ligne, il y a le trait ». C’est le principe de ses œuvres noires à la Valerius Gallery. Qui d’ailleurs s’appellent Avant le trait. Les grains d’une grande feuille de papier abrasif sont enlevés au crayon par la pression de la mine de plomb, puis, quand elle est usée, par le bois. On voit à nouveau les lignes du sol de l’atelier, horizontales, dans le premier tableau, composé de mouvements courts, à main libre. Puis, dans un deuxième exercice, les traits sont tracés à l’a latte de haut en en bas du tableau.
Souvenir des études d’architecture ? Mais voici la série Images en mouvement. Ce n’est plus le pouce, ce n’est plus la main mais tout le corps d’Alexandre Clanis qui devient outil. Ce travail de heurts, de frottement des coudes et des hanches de l’artiste enroulée dans la feuille de papier de verre contre la dureté de murs en pierre, crée des zones, des taches, des points blancs. Le papier subit l’inverse de son usage. Il est poncé, unifié, lissé. On entre dans une autre dimension de constellations d’étoiles comme on peut en voir en été dans son Sud-Ouest natal.
Anni Mertens a une conception tout à fait différente de la quasi ascèse d’Alexandre Clanis. C’est comme si Gérard Valerius et Lou Philipps avaient voulu contrebalancer la sobriété d’Alexandre Clanis par des formes enjouées de la jeune Luxembourgeoise. Au sol pour commencer avec les mises en scène de Lagoon Cocoon sur un tapis de gazon artificiel. Les sculptures sont disposées comme des installations. Cloudscape, céramique et glaçure bleu ciel, n’est pas un vase, Spiralis, céramique et glaçure orange, tendue comme un ressort et pourrait en être un… Lavender Rock est tout simplement couleur lavande teinté dans la masse, rainuré, sans glaçure. Avis aux amateurs de liberté formelle et de soclage où l’œuvre n’est pas comme la cerise sur le gâteau. Aligator, une des pièces les plus récentes trône sur un socle de blocs de ciment ceinturés en fagot. Le pari du trio est gagnant, puisque Fossil Tube, sorte de pneu dégonflé, monté sur une barre entre les deux espaces de la galerie, raconte Lou Philipps, sera remonté tel quel par l’acheteur chez lui. Il dispose d’une belle hauteur sous plafond.
Anni Mertens, figurant dans la sélection du Prix Robert Schuman, est de plus en plus assurée. Tangerine Dip (céramique et glaçure crème et orange), est suspendue à son crochet comme à la kermesse du sucre d’orge souple à découper en berlingots. Et voici Palmera, qui se joue des imperfections de la cuisson, des limites du lisse de la glaçure, de l’unité de couleur. Est-ce pour ça que cette œuvre récente est suspendue au mur comme des drapeaux à un porte-étendard ?