Où commencer à regarder ? S’atarder sur les talismans dans les céramiques-rocailles de Viki Mladenovski à l’avant de la galerie, ou aller vers le fond voir les trois grandes toiles en noir et blanc d’Anne-Sophie Loos ? Le visiteur est tiraillé. L’intérêt des trois peintures à l’huile de grand format que l’on aperçoit au fond depuis la rue Notre-Dame (120 x 80 cm), c’est qu’il s’agit d’un pur jeu d’ombres et de lumière. Anne-Sophie Loos a saisi les variations du soleil sur un foulard, à quatre heures d’intervalle lors d’une même journée. Peintre autodidacte, elle est sur la voie de l’habileté technique des maîtres anciens flamands et italiens dans la reproducton des riches robes que portent les images de la Vierge. Ici, sans les effets somptueux et sensuels que donnaient dans le temps la couleur et les riches motifs des tissus, car Moments, 8h26, 12h26, 16h26 sont des peintures à l’huile en noir et blanc. Elles ont aussi ceci de contemporain qu’elles ont été réalisées d’après photo. Le mouvement du tissu est le même sur les trois toiles, c’est un arrêt sur image, dont les reliefs et les creux s’atténuent au fur et à mesure que la journée avance, elles se désincarnent et tendent vers l’abstraction.
L’étoffe est aussi visible dans les peintures de Julie Wagener. Des mains l’enroulent autour du poignet d’autres mains. Le linge blanc ressort d’autant plus qu’il est représenté en aplat, telle une surface vide. This is just The Beginning I, II, III (trois tableaux oblongs de 120 x 50 cm), n’est pas le début de l’exercice de la peinture à l’huile sur bois auquel la jeune femme s’adonne depuis quelques années. Elle représente ici, dit-elle, le bout par lequel le mal-être du monde actuel s’empare des individus. Si les mains soignantes sont représentées de manière encore un peu maladroite, les manches noires sur le devant de cette scène d’entraide et plus ocres à l’arrière sont réussies. On peut néanmoins préférer le talent de Julie Wagener dans le travail de la lithographie et le genre gothique.
Tant qu’à être à contre-courant d’une certaine anorexie mentale, Nina Gross, à l’occasion d’un séjour viennois, a énuméré les desserts traditionnels du Kaffee und Kucken sur des petits formats (22 x 26 cm). Schwarzwälder, Sacher mit Schlag, Mohnstrudel et autres douceurs typique des habitudes K und K (Königlich und Kaiserlich), toujours en vogue dans les pâtisseries et cafés locaux et pas seulement pour les touristes de passage. Cela reste un moment de partage et de convivialité.
Scandaleuse aujourd’hui, reine des déjeuners familiaux du dimanche, l’entrecôte complète cette série où Nina Gross transforme des objets du quotidien, brosse à dents, fourchette et couteaux, stylo, en œuvre d’art. Meret Oppenheim était certes plus provoquante et sensuelle avec la tasse, la soucoupe et la cuiller de son Déjeuner en fourrure… C’était en 1936.
Notre époque étant ce qu’elle est, les Géologie d’un résidu I et VI, deux eaux fortes de Nathalie Noé Adam portent bien leur nom puisqu’elles font penser à des continents à la dérive. Seule Viki Mladenowski s’adonne, dans cette exposition d’été, avec joie et fantaisie, à l’exposition de ses convictions féministes. On rappelle qu’il s’agit d’une présentation de groupe de cinq artistes entre 25 et quarante ans, toutes de sexe féminin. Dans Fragmented Dialogue (pastels et crayons de couleurs sur toile), les cuisses, le tronc, les seins, des amorces de bras et un cou collerette, sont comme les pièces d’un jeu d’échecs.
Artiste multi-disciplinaire, Viki Mladenovski sait aussi bien travailler la céramique. On nommera le tube de rouge à lèvres et son reflet dans Mirror memory, la main chandelle et la main volante, le Fou du roi et le cavalier. Les objets trouvés et les talismans. On appelle le jeu d’échec « le roi des jeux ». S’il domine le travail de Viki Mladenovski il reste de la place pour le hasard des objets trouvés, rangés sur des étagères de curiosités : les coquillages et talismans des Sea Shelf I, II, III. C’est revigorant.