Wols, de son vrai nom Alfred Otto Wolfgang Schulze est né en 1913 à Berlin, est mort à Paris, le 1er septembre 1951, rue du Bac, ayant demandé son transfert de l’hôpital à l’hôtel Montalembert, près de Gallimard. Malgré la reconnaissance enthousiaste de ses pairs – Georges Mathieu sort en 1947 de la première exposition des œuvres de Wols chez René Drouin bouleversé, « le cri le plus lucide, le plus évident, le plus pathétique… » – on peut se demander si Wols à la place qui doit être la sienne, dans toute sa singularité, dans l’histoire de la peinture. Peut-être recouvert des étiquettes d’écoles qu’on lui attache, abstraction lyrique, tachisme, art informel. Elles disent vrai, ratent l’essentiel. Et nonobstant les expositions qui se sont succédées après sa mort. Nonobstant l’engagement de ses collectionneurs, parmi lesquels en premier Karsten Greve qui, dans ses galeries, ne cesse les hommages à leurs cimaises, dernièrement à Paris justement, rue Debelleyme, avec en plus un imposant ouvrage du poids d’une véritable pierre tombale, pour l’artistes inhumé dans le columbarium du Père-Lachaise ; l’exposition sera reprise dans les espaces de la galerie à Cologne, au printemps prochain.
Entre Berlin, Dresde et Paris, Wols, c’est tout le drame européen du vingtième siècle. Destinée terrible qui occulte de même peut-être l’œuvre du photographe, de l’écrivain, du plasticien. Fuyant la montée du nazisme, il vient à Paris, il y vit des portraits photographiques qu’il fait, devient le photographe officiel du Pavillon de l’Elégance et de la Parure à l’Exposition Universelle de 1937. Il fréquente les milieux surréalistes, les photos ont cet air, d’autres sont comme des anticipations existentialistes.
Pas de permis de travail, réfugié déclaré apatride, avec sa compagne Gréty il part en Espagne, mais les franquistes l’arrêtent comme Allemand déserteur. Il est expulsé en France où l’on n’est pas plus hospitalier à cet étranger louche. C’est l’internement dans différents camps dont celui des Milles, connu pour avoir « hébergé » également Max Ernst et Hans Bellmer. Pendant la guerre, on se cache, à Cassis, on vit dans une grande misère, à Dieulefit, nom qu’il aurait fallu inventer.
À part les photos et les textes, des ces années terribles, il existe les œuvres sur papier, de dimension très réduite bien sûr. Mais il s’y déploie dans le faste des mondes imaginaires, il y pousse et fleurit des compositions abstraites, sortis de quels songes, de quelles rêveries. Le trait est délicat, fin, peut faire penser à Feininger, le charme, lui, avec les rehaussements d’aquarelle, à Klee. Mais les microcosmes de Wols portent toujours leur part de fragilité, voire de blessure, il est définitivement marqué comme un exilé du réel.
Les toiles, c’est l’après-guerre, donc sur une période extrêmement courte, et elles ne sont pas en grand nombre. Mais citons encore Mathieu, à la sorte de Drouin : « Quarante toiles : quarante chefs-d’œuvre. » Dans le livre qui vient de sortir, une caractérisation s’impose, s’avère la plus forte, une double page extraite de Magnum – die Zeitschrift für das moderne Leben, numéro 24, daté de 1959, avec deux photos juxtaposées, une explosion atomique et une toile Wols, et le texte suivant : « Wenn heute ein Maler ein « Blumenstück » malt… dann kann es aussehen wie eine Explosion… dieselbe explosive Kraft, die alle bisher gebräuchlichen Formen zu sprengen scheint. » Déflagration, avec ce que cela comporte de violence. Mais une autre image peut venir à l’esprit, corrigeant l’impression négative : celle du Big Bang du modèle cosmologique décrivant l’origine et l’évolution de l’univers. Dilatation rapide avec de la chaleur, de la densité. Des fois un tournoiement, un tourbillon autour duquel un monde s’éclate et se forme. Étrangement, une toile de Wols ne porte-t-elle pas tel titre : L’œil de Dieu ?
C’est Jean Paulhan qui donne à tout cela sa véritable signification dans l’histoire de l’art : « Les anciens peintres commençaient par le sens, et lui trouvaient des signes. Mais les nouveaux commencent par des signes auxquels il ne reste qu’à trouver un sens. » En toute liberté, pour tout le monde.