Une corde qui casse, des pages qui se font la malle, un pupitre qui tombe à la renverse ou plus simplement, une rencontre ratée avec un public. Autant de situations redoutées par les membres d’un orchestre. Lorsqu’on demande à Leo Halsdorf de nous confier son pire souvenir sur scène, il se marre doucement, cherche un long moment, mais n’en trouve pas. Il admet qu’une « mauvaise journée » peut toujours avoir lieu. Mais à ce moment-là, on se remet en question et on repart. Lorsqu’on lui demande si même les mauvais moments passés sur scène lui manquent, il n’hésite pas, « absolument, oui ». Leo Halsdorf est un des 98 membres de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg (OPL). Il occupe le poste de cor solo et comme l’intégralité de ses camarades de jeu, il ne s’est pas produit sur scène depuis plusieurs mois.
La Philharmonie Luxembourg a récemment publié son programme prévu pour la saison 2020/21. On y apprend notamment que le retour sur scène de l’OPL aura lieu le 17 septembre, avec du Beethoven. Évidemment, l’institution est encore fébrile. En l’état actuel, rien n’est encore décidé en matière de mise en place des futurs concerts à domicile (limitation du nombre de spectateurs, application des gestes barrières, port du masque) et à l’étranger (restrictions concernant la liberté de voyager pour les membres de l’orchestre). Patrick Coljon, senior manager orchestra à la Philharmonie et lui-même ancien corniste de l’OPL, est en contact régulier avec l’ensemble. Il se veut rassurant, les musiciens sont en bonne santé, mais les retombées sont sérieuses. Ainsi, au moment de l’entretien, l’orchestre aurait dû se trouver à Stockholm.
Le 12 mars dernier, alors que l’ensemble était en pleine répétition, le directeur de l’institution Stephan Gehmacher a fait irruption dans la salle et les musiciens ont été priés de rentrer chez eux, à contrecœur. Anne-Catherine Bouvet, qui occupe le poste de second hautbois et cor anglais, à l’instar de ses camarades, répète à domicile, jour après jour. « Nous sommes un peu comme des sportifs. Nous devons garder une forme physique, garder la vélocité de nos doigts ». Ces répétitions individuelles, pour « garder la forme » présentent une limite claire, celle de l’absence des autres. « Les répétitions en groupe sont vitales pour un ensemble et pour appréhender les bonnes sonorités et intonations d’une composition », assure Patrick Coljon. Les retrouvailles physiques seront sans doute difficiles, l’important pour les musiciens sera de trouver de nouveaux repères à défaut de retrouver leurs marques, puisque la disposition des sections et les distances entre les musiciens sur scène risquent d’être inédites.
On parle de plusieurs mètres de distance entre les artistes et de cloisons en plexiglas. « C’est très agréable d’être à côté d’un collègue. On l’entend jouer mais aussi respirer », se souvient Patrick Coljon. Cette proximité tant recherchée par les artistes est évidemment remise en cause. On soupçonne notamment les cuivres et les bois de vaporiser des gouttelettes et postillons, et donc de présenter des risques de contamination. Faute de littérature scientifique complète sur la question, un certain nombre d’initiatives, comme l’étude Musicovid-1 de l’Hôpital Saint-Vincent de Lille se sont lancés comme objectif d’établir les risques de la pratique de certains instruments face au virus Covid-19. L’OPL se tient au courant et prendra en compte toutes les recommandations qui seront publiées d’ici quelques temps. Patrick Coljon se veut optimiste. Une récente étude réalisée par l’Orchestre Philharmonique de Vienne et certifié par notaire, tend à démontrer qu’il n’y aurait pas de risque de propagation du virus entre les musiciens s’ils se situent à un mètre les uns des autres.
Entre temps, pour pallier la suppression des concerts, la Philharmonie Luxembourg a lancé deux initiatives digitales, OPL at home et Phil Live doheem. La première concerne directement les membres de l’OPL et le premier épisode diffusé début avril et consacré au Boléro a été bien accueilli. Les artistes ont été invités à jouer et à se filmer sur un tempo et toutes les vidéos individuelles ont été regroupées. En résulte une mosaïque, une expérience interactive sympathique, pain béni pour le marketing, et dont le procédé a été usé par à peu près tous les orchestres philharmoniques du monde ces derniers mois. Anne-Catherine Bouvet reconnaît que même si cette expérience digitale était émouvante, elle ne remplacera jamais la sensation de la scène, du jeu face à un public. Leo Halsdorf parle de « thérapie », d’une façon de « combler le vide » tout en ne prêtant que peu d’avenir à ces concerts digitaux. Même son de cloche pour Patrick Coljon qui considère que rien ne pourra remplacer « les moments magiques » d’un concert, de ses réussites, comme de ses ratés.