Fiscalité

Les banquiers luxembourgeois veulent franchir le « Rubikon »

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2011

L’Association luxembourgeoise des banques et banquiers (ABBL) va mettre la pression sur le gouvernement du grand-duché afin qu’il négocie des accords fiscaux comparables à ceux que la Suisse a conclus avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. La place financière luxembourgeoise espère ainsi court-circuiter la Commission européenne, qui réclame à cor et à cri l’abolition du secret bancaire au sein de l’UE.

Le directeur exécutif (CEO) de l’ABBL, Jean-Jacques Rommes, nous a confirmé jeudi 6 octobre « qu’une décision positive a été prise » par l’association sur la nécessité de demander au ministre luxembourgeois des Finances, Luc Frieden, CSV, de négocier de tels accords, surnommés Rubik, sur une base bilatérale – ou, si possible, multilatérale. Si la France devait décider en novembre d’ouvrir à son tour des pourparlers avec la Suisse, estiment les banquiers, le modèle Rubik pourrait en effet devenir celui de l’Europe.

Les accords que Berne a conclus avec Berlin et Londres, en août dernier, prévoient d’un côté la régularisation anonyme des avoirs que les résidents fiscaux allemands et britanniques ont dissimulé en Suisse avant 2011 et, de l’autre, la taxation effective de tous les revenus de la fortune (intérêts, obligations, gains en capitaux, etc.) qu’ils continueront à percevoir dans le pays à l’avenir. Dans les deux cas, un impôt libératoire à la source sera prélevé par les institutions financières helvétiques, qui se substitueront ainsi aux autorités fiscales allemandes et britanniques. Dans le cas de l’Allemagne, le taux de cette retenue a été fixé à 34 pour cent dans le cadre de l’amnistie (qui portera également sur les droits de succession) et à 26,375 pour cent dans celui de l’imposition future des investissements.

La Commission européenne s’apprête à rendre son verdict sur ce dispositif.

L’ABBL, relève une analyse dont nous avons pris connaissance, s’attend à ce que la Commission « tente de retarder l’entrée en vigueur des accords », prévue en 2013, sous prétexte que Berlin et Londres ont fait à Berne des concessions douteuses, notamment en matière de facilitation de l’accès à leur marché des services financiers. Il s’agirait ainsi, pour la Commission, « de ne pas compromettre sa propre position » sur la révision, en cours, de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne.

L’ABBL estime en effet que « la position de Semeta », le commissaire européen à la fiscalité, « serait affaiblie » au cas où le modèle Rubik serait appliqué à plus large échelle, car il représente une solution de remplacement efficace au système de l’échange auto-matique d’informations, dont la Commission veut généraliser l’application à l’échelle de l’Union européenne.

Le Luxembourg s’y oppose toujours, qui veut être mis sur un strict pied d’égalité avec la Suisse, mais d’aucuns doutent que sa position soit tenable. D’une part, la pression de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Groupe d’action financière (Gafi, un sous-groupe de l’OCDE) sur le secret bancaire va de toute façon augmenter, une fois de plus : l’OCDE envisage d’assouplir ses normes sur les échanges d’informations à la demande, en autorisant les demandes de renseignements groupées (la Suisse a déjà décidé d’en accepter 500 par an en provenance d’Allemagne) ; de son côté, le Gafi est en train de réactualiser ses fameuses recommandations, notamment sur la transparence « d’entités » telles que les trusts. D’autre part, le blocage du Luxembourg risque de pénaliser sa propre place financière, puisqu’il affaiblit la position de l’UE dans ses négociations avec les États-Unis sur le très redouté Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) américain, qui vise à imposer aux banques européennes des obligations de glasnost, sous peine d’être frappées de sanctions. Enfin, le grand-duché a tout intérêt à se départir de son image de « paradis fiscal » intraitable.

C’est dans ce contexte que l’ABBL presse le gouvernement luxembourgeois « d’aller dans la même direction que la Suisse », même si, reconnaît-elle, le système Rubik n’est pas parfait : les investisseurs, qui n’auraient pas les moyens de délocaliser leur fortune, par exemple à Singapour, en vue d’éluder l’impôt, seraient prisonniers du système ; la situation des personnes qui feraient, à l’avenir, des héritages qu’ils ne souhaitent pas déclarer risque d’être problématique ; certaines niches fiscales devraient être supprimées ; les coûts de mise en œuvre seraient lourds pour les banques, etc.

Tanguy Verhoosel
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