Les accords fiscaux bilatéraux que la Suisse a conclus en août avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne – et qui suscitent un certain intérêt en France – deviennent un brandon de discorde dans l’Union européenne. Pour le Luxembourg, ils porteront naturellement à conséquence sur la renégociation de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne. Pour la Commission, au contraire, ils ne devraient pas constituer un obstacle à l’abolition du secret bancaire au grand-duché et en Autriche.
Les accords dits Rubik ont été paraphés en août et devraient être signés cet automne, avant que s’ouvre leur procédure de ratification, en Suisse, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Pour peu qu’elle se déroule sans accroc (en Allemagne, l’opposition sociale-démocrate grogne), ils entreront en vigueur au début de 2013.
Les accords visent à concilier deux objectifs : celui de préserver autant que faire se peut la « sphère privée » des clients des institutions financières helvétiques (et donc le secret bancaire), pour Berne ; celui de regarnir les caisses de l’État, pour Berlin et Londres, qui espèrent récupérer sans coup férir quelque trente milliards d’euros pour le premier, sept milliards d’euros pour le second.
Le système Rubik s’articule autour de deux axes : la régularisation anonyme des avoirs non fiscalisés que les résidents allemands et britanniques ont dissimulé dans les banques helvétiques, dans le passé, et la taxation effective de tous les revenus de la fortune et gains en capital qui sont imposables dans leur pays, pour l’avenir.
Des retenues à la source – libératoires – seront prélevées en Suisse, tant pour le passé que pour l’avenir (lire encadré).
Ces accords sont-ils compatibles avec la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne, en cours de renégociation, et l’accord que la Suisse a conclu dans ce domaine en 2004 ?
Le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, qui a récemment reçu quelques journalistes, n’a pas encore tranché : « Les textes ne sont pas encore disponibles. J’espère que la Grande-Bretagne et l’Allemagne les présenteront le 22 septembre, lors d’une réunion du groupe de travail sur la fiscalité [-]directe du Conseil. En attendant, il est difficile de prendre position », a-t-il déclaré.
« Nous avons eu de nombreux contacts avec l’Allemagne et le Grande-Bretagne, qui nous ont assuré que leurs accords bilatéraux ne violeraient pas la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne, ni l’accord que l’Union a conclu dans ce domaine avec la Suisse. Nous allons vérifier tout cela. Il est clair qu’au regard du droit international, la directive et l’accord UE-Suisse prévalent contre les accords bilatéraux paraphés en août », a-t-il ajouté.
Certains, à Bruxelles, soutiennent que la Commission pourrait attaquer Berlin et Londres en justice, au cas où ils auraient manqué à leurs devoirs. Mais ils sont assez optimistes sur la suite des opérations.
Ainsi, prédit-on, la conclusion de ces accords pourrait faciliter la renégociation à venir de l’accord sur la fiscalité de l’épargne entre l’UE et la Suisse. Leur champ d’application est en effet beaucoup plus large que celui de la réglementation européenne actuelle, ce qui pourrait aider Bruxelles à convaincre la Suisse d’étendre à de nouveaux produits la portée de son accord avec l’Union, et de trouver une meilleure combinaison entre le principe de la retenue à la source et celui de l’échange d’informations à la demande entre administrations fiscales.
Le Luxembourg risque toutefois de mettre des bâtons dans les roues de la Commission. Dans une déclaration, son ministère des Finances « constate que le modèle de la retenue à la [-]source – un modèle pour lequel le Luxembourg a toujours plaidé – est un élément clé des accords », qui devront « dans tous les cas avoir un impact sur les négociations qui sont en cours concernant la directive sur la fiscalité de l’épargne ».
Autrement dit : si l’Allemagne et la Grande-Bretagne acceptent de préserver le secret bancaire suisse, il n’y a pas de raison qu’ils continuent à faire pression sur le grand-duché et l’Autriche, au sein de l’Union, afin qu’ils acceptent de basculer du système de la retenue à la source vers celui de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales.
L’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) partage évidemment cet avis. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont « entériné un modèle d’imposition alternatif à l’échange automatique d’informations, ce qui change fondamentalement le débat sur la fiscalité de l’épargne au sein de l’UE », souligne-t-elle dans un communiqué. « Notre association est convaincue que cette évolution permettra d’avancer vers un accord général qui réconcilie l’intérêt de l’État et la protection de la sphère privée » au sein du club communautaire.
Algirdas Semeta ne l’entend évidemment pas de cette oreille. « L’échange automatique d’informations, c’est la règle au sein de l’UE. L’application par l’Autriche et le Luxembourg du système de la retenue à la source n’a été autorisée que pendant une période transitoire. Pour les pays tiers, c’est différent : l’Union réclame d’eux qu’ils appliquent des mesures équivalentes aux siennes, pas des mesures identiques. Ce qui compte, c’est qu’ils respectent les standards de l’OCDE sur l’échange d’informations à la demande », a-t-il insisté. Belles passes d’armes en perspective.