Les filles portent à nouveau des pattes d’éph. Lundi dernier, Stéphane Hessel est venu appeler les Luxem[-]bourgeois à s’indigner contre les injustices sociales. Des centaines d’ouvriers sidérurgistes voient leur existence en danger avec l’annonce de fermeture des usines, la Gauche milite pour que la soli-darité sociale soit la priorité sur le plan communal... Les réminiscences des années 1970 sont nombreuses, il n’est donc pas étonnant que la culture s’en empare aussi : le théâtre, au Luxem[-]bourg, est politique cette année. Gauchiste même, que ce soit à la Kulturfabrik (Rachel Corrie), au TNL (Peanuts) ou au Centaure, où se joue actuellement Naissance de la violence.
La pièce du jeune auteur suisse Jérôme Richer (né en 1974), qui a été créée en 2007 à Lausanne, raconte la vie de Renato Curcio et Margherita Cagol, membres fondateurs des Brigate rosse, les Brigades rouges italiennes – le pendant de la RAF et du couple Baader-Meinhof.
Richer narre, de façon chronologique et très didactique, le destin du couple, leur rencontre, leur politisation, leur enthousiasme de participer à un mouvement né dans les facultés de science-po et de sociologie dans le nord du pays, du vent libertaire et de l’ambiance festive des débuts avec lesquels ils voulaient changer la condition des ouvriers dans les usines. Puis vient la répression de l’État et la contre-révolution par l’extrême-droite, les mouvements se radicalisent – « il faut frapper l’État au cœur » sont-ils persuadés, mais que tuer serait une grave erreur. Néanmoins, l’inéluctable arrive, deux hommes meurent lors d’une embuscade et la chasse au Brigades rouges est ouverte. La question que devaient se poser le metteur en scène Martin Engler et les acteurs Steve Karier et Sophie Langevin était : comment insuffler une vie, une ambiance à ce texte ?
Une musique menaçante. Grâce à une superposition de toile de jute et de papiers légers accrochés aux murs (scénographie : Diane Heirend), la petite scène du Centaure est surface de projection ou caverne selon les effets projetés. Une femme court dans un long couloir d’un bâtiment anonyme, une prison, paniquée, à la recherche et en fuite en même temps. La caméra la colle, puis la coince, elle se retourne – elle est terrifiée. Les spots s’allument, aveuglent le public, l’alarme d’une porte coulissante de sécurité résonne – elle va rythmer la pièce sur toute la soirée. Car nous sommes en prison avec Renato Curcio (Steve Karier), qui y fut incarcéré de 1976 à 1998. « Mara » comme fut appelée sa femme Margherita Cagol, était morte un an plus tôt, en 1975, au cours d’un affrontement avec les carabiniers lors d’une prise d’otage (Aldo Moro ne sera séquestré et tué qu’en 1978, sans eux). Naissance de la violence imagine donc les souvenirs de Renato, en l’absence de sa femme, qui n’est plus qu’un spectre.
Et malgré toutes ces difficultés – une revenante, une structure trop didactique – Naissance de la violence nous parle, nous touche même. Parce que Martin Engler a réussi à lui donner un rythme – toujours cette porte coulissante, les projections, la musique, l’alarme, la lumière – et parce que les acteurs sont extraordinaires, portés par l’indignation des personnages, par leur engagement politique, par leur enthousiasme et leurs doutes. Et ce qu’ils font, ils le font pour de vrai : crier, se foutre à poil, s’effondrer, se mettre en danger. Alors quelques effets suffisent pour faire naître la poésie, comme ce moment magique où la lumière danse dans la main de Sophie Langevin et réverbère sur son visage, ou même des situations comiques, comme Steve Karier au garde-à-vous, qui essaie de fermer sa braguette durant l’hymne national italien, semblant soudain interminable.
À la fin, la chanson des partisans, Belle Ciao, et une dédicace de Renato Curcio à Mara terminent en beauté un spectacle après lequel on se sent assez remonté pour aller manifester contre la guerre ou pour le droit des travailleurs. À voir.