Matsukaze, c’est tout d’abord un opéra contemporain composé en un acte et six scènes pour quatre personnages, un petit chœur et un orchestre de chambre par Toshio Hosokawa, né à Hiroshima en 1955 et installé depuis 1976 à Berlin. Joué sur deux dates la semaine dernière au Grand Théâtre, cet opéra est inspiré de la tradition du nô et plus particulièrement d’une pièce de Zeami Motokiyo. Acteur et dramaturge japonais du XVe siècle, il fut le théoricien du nô et ses pièces sont les plus jouées dans ce répertoire.
La trame dramatique est la suivante : un moine (Frode Olsen, Basse) en pèlerinage à Suma rencontre un pécheur (Kai-Uwe Fahnert, baryton basse) et l’interroge sur la signification de la plaque commémorative apposée sur le tronc d’un pin avec la mention : « Matsukaze (vent dans les pins) et Murasame (pluie d’automne) » suivie d’un poème de Yukihira « Aujourd’hui est venue l’heure de l’adieu, les portes de la capitale m’attendent, mais si j’entends l’appel de ta langueur, ma bien-aimée je reviendrai ». Il apprend que les deux sœurs, Matsukaze (Barbara Hannigan, soprano) et Murasame (Charlote Hellekant, mezzo), éprises d’un noble en exil continuent des années après leur mort, via leurs âmes, à errer et à le convoiter.
A priori, l’histoire n’est pas en tant que telle très intrigante… Et pourtant la magie opère par la convergence des points forts de l’opéra. La musique emprunte, dans un subtil dosage certes, à l’Orient mais aussi à l’Occident par l’emploi d’une formation restreinte intimiste, l’Orchestre de chambre. Percussions, triangle, harpe, les bruits de l’eau et ceux du vent produisent un effet de calme et éloignent le risque initial de la musique trop caricaturale. La direction musicale de l’OCL confiée à Pablo Heras-Casado est remarquable, préservant pendant la durée de la création cette atmosphère intimiste, onirique.
De même, le chœur composé de huit chanteurs du Vocalconsort Berlin est assis à la gauche de la scène. En gris telles des ombres empruntant à la tradition occidentale des pièces de théâtre de la Grèce antique, les choristes représentent le contexte. En prélude, le chœur chante les bruits de vent et poursuit par des ponctuations résumant les situations. Le livret de Hannah Dübgen est très adapté à la contemporanéité du propos. La mise en scène et la chorégraphie de Sasha Waltz, habituée de la scène luxembourgeoise après les productions de Dido [&] Aenas de Purcell et Médée de Pascal Dusapin, sont une nouvelle fois remarquables.
Matsukaze danse comme une démente, accoutrée du chapeau et du manteau de son amant, et croit le reconnaître dans la silhouette d’un pin… La chorégraphe fait entrer les quatorze danseurs dos au public. Les bras se mouvant dans une gestuelle calligraphique en prélude. Puis la danse devient aérienne et spectaculaire. Ainsi en est-il lorsque vient le rêve du moine et la scène du grenier à sel dans lequel les deux sœurs enchevêtrent leurs sentiments pour le même homme, le dispositif du décor est à son apogée. Les deux cantatrices sont prisonnières d’une structure en fils de laine noire telle une immense toile d’araignée évoquant en l’occurrence les algues, mais aussi les chemins vertigineux de la souffrance de leurs âmes. La danse devient le propos, le vent dans les pins, la pluie de l’automne, la nature.
Les mouvements en volutes et les tableaux de groupe notamment lors de la tombée des aiguilles de pin sur les danseurs évoquent la période néo-classique et les emprunts gréco-romains. Tout comme la musique part du silence pour progressivement y retourner, la danse se lie au chœur par cette évocation antique. Calligraphie globale, cet opéra renvoie de facto à l’actualité et à la mémoire des victimes des récentes catastrophes au Japon.