Du 15 août au 15 septembre, telle est la période durant laquelle l’on pensait que les plantes concentraient le plus de substances actives. La confection de bouquets avec des céréales, des herbes médicinales et aromatiques, des fleurs ou même des fruits et des légumes, était à l’origine une pratique païenne, mais elle a ensuite été reprise par les Romains puis par l’Église catholique. « Les Catholiques étaient très pragmatiques, » relève Mireille Molitor. « Ils ont associé le calendrier religieux à la réalité climatique de nos régions. » Pour faire concorder cette période faste avec l’Assomption de Marie, toute une histoire a alors été inventée, comme des odeurs de plantes et de roses qui auraient émané du caveau de la Sainte. Depuis, les bouquets sont bénis par un prêtre avant d’être accrochés dans les étables et les maisons pour protéger ceux qui y vivent. Si des effets médicaux étaient avérés comme ceux, soporifiques, de la valériane, ou ceux qui soulagent brûlures et piqûres d’insectes du millepertuis, des croyances populaires, comme l’assurance d’être protégé de l’orage, s’y sont greffées.
Biologiste de formation, Molitor a travaillé quatorze ans pour Natur & ëmwelt Fondation Hëllef Fir D’Natur et a, en parallèle, toujours été engagée bénévolement dans la section locale de Natur & ëmwelt Nordstad. C’est au sein de ce bénévolat qu’elle a participé, pendant plusieurs années, à la confection des bouquets, les Krautwësch. D’après elle, si la coutume est moins soutenue qu’avant, elle reste bien ancrée au Grand-Duché, notamment grâce à l’engagement associatif. Initialement, c’était les gens eux-mêmes qui composaient leurs bouquets mais ce sont maintenant principalement les associations locales qui les confectionnent pour la paroisse et les paroissiens qui les distribuent, généralement en échange d’un petit don. « Les organismes qui soutiennent cette coutume sont très divers, certains sont catholiques comme la Croix Sainte Cécile ou plusieurs chorales, mais d’autres sont simplement attachés à la tradition, tels que des sociétés d’horticulture, des associations de musique ou encore l’organisation d’Ettelbruck où j’apporte mon aide. »
Pour sa part, Mireille Molitor ne connaissait pas la tradition avant de devenir bénévole. Cependant, quand elle en parle à sa famille, elle apprend que la coutume y était bien présente… et comporte son lot d’anecdotes. Depuis des générations, il était d’usage de garder chaque bouquet d’une année sur l’autre, les faisant s’accumuler dans le grenier. Ils prenaient la poussière et cela n’a pas plu à la tante qui les jette au cours d’un grand ménage. Peu de temps après, son arrière-grand-père décède. Or, à cette époque, il était d’usage de « présenter » le corps du défunt au salon pour que famille et amis viennent lui dire un dernier aurevoir et le bouquet devait reposer sur son corps. L’arrière-grand-mère de Mireille, « dans un désarroi total », se retrouve contrainte d’aller dans les villages voisins pour trouver un bouquet. Encore pratiquée par ses grands-parents, la tradition n’est que peu connue de ses parents : « Il y a eu une interruption donc, mais me voilà, je reprends la tradition avec un nouvel élan ! ». Sa maison, datant du 18e siècle et dotée de poutres en bois de chêne, se prête bien à l’accrochage de ces bouquets protecteurs.
Les pratiques varient selon les pays. En Bavière par exemple, le bouquet du 15 août est brûlé dans la période comprise entre le 25 décembre et le 6 janvier, les Rauhnächte, des nuits durant lesquelles des forces spéciales descendraient sur Terre. « Au Luxembourg, c’est plutôt lorsqu’il y avait un orage lors des étés chauds et humides qu’on brûlait une partie du bouquet, » précise Molitor. Les bouquets diffèrent aussi selon chaque village du Grand-Duché. Et d’autres rituels existaient comme les enfants qui mangeaient une carotte crue tout de suite après leur bénédiction à la sortie de l’église, l’oignon coupé dans la soupe du dimanche et mangé par les invités, les céréales enlevées des bouquets et jointes à celles qu’on plantait l’année d’après pour bénir les semences de l’année suivante, ou encore l’ajout de certaines herbes aromatiques au fourrage pour préserver la santé des bêtes.
L’engagée auprès de Natur & ëmwelt Nordstad remarque qu’ « avant c’était naturel, tout le monde connaissait la coutume mais maintenant il faut informer le grand public » et chacun tente de continuer à faire vivre cette tradition à sa façon. Le village mosellan de Greiveldange a ainsi créé toute une fête autour des bouquets : des stands de saucisses, des jeux pour enfants… Cela dépasse l’origine de la célébration, qui est toute simple. Si Molitor reconnaît que « Greiveldange a contribué à faire vivre cette tradition », elle ne voit pas d’intérêt à ce que des fêtes d’une telle ampleur se généralisent sur tout le territoire. Ainsi, dans plusieurs petits villages et leurs bulletins paroissiaux, on la retrouve encore sous sa forme originelle : les gens amènent leur bouquet à l’église, ils le font bénir et le ramènent chez eux. L’organisme Natur & ëmwelt a quant à lui intégré les Krautwësch à la quinzaine d’autres activités nature qu’il propose à l’année, parmi les randonnées ou encore la recherche d’insectes. Cette année, parmi les participants à cette fête traditionnelle, des expatriés curieux de découvrir des coutumes luxembourgeoises et des locaux nostalgiques : « Ah oui, ma grand-mère elle faisait ça, je ne savais pas que ça existait encore ! »
En 2020, le Ministère de la Culture est venu leur rendre visite et leur a demandé s’ils étaient intéressés à ce que ce rituel du 15 août rentre au patrimoine immatériel et Patrick Dondelinger, chargé d’études dirigeant, qui les a épaulés dans la rédaction du dossier pour l’Unesco. Pour la journée du 30 septembre prochain à Neumünster, Mireille Molitor va amener des bouquets déjà bénis et expliquera les propriétés médicinales de certaines plantes.
« Ça sera surtout un échange entre moi et le public, sur nos souvenirs et nos connaissances liés à cette tradition, » explique-t-elle. Le lendemain, dimanche 1er octobre, une sortie sera organisée à Reckange, près de Mersch, et un des bouquets de la mi-août sera déposé dans une chapelle. Si la tradition des Krautwësch est bien plus ancienne que les rites liés à la Vierge Marie, elle perdurera aussi très sûrement au-delà de l’Église catholique. Le changement climatique entraîne d’ailleurs une maturité de plus en plus précoce des plantes composant les bouquets et menace leur disponibilité pour le 15 août. La bénévole de Natur & ëmwelt Nordstad soutient en riant qu’ « il y aura toujours un public attaché à ces forces ‘cosmiques’ ! »