La censure du Web en Chine n’est pas une nouveauté, on peut même affirmer que c’est un des révélateurs du manque de démocratie dans ce pays. Cela n’a pas empêché les observateurs du web chinois de dénoncer avec force la nouvelle vague de blocages de sites qui s’est abattue ces derniers jours sur de nombreux contenus, choisis apparemment suivant des critères passablement arbitraires. Le moment choisi pour ces mesures relève pratiquement du pied de nez : la Chine se prépare à recevoir dans une de ses provinces orientales une importante conférence internationale consacrée à Internet, la World Internet Conference, avec la présence annoncée des dirigeants des géants chinois du Net comme Alibaba, Tencent ou Baidu. Une façon de dire aux Occidentaux : « criez, tapez du pied, protestez autant que vous voudrez contre cette censure, vous voyez bien que nous contrôlons parfaitement ce moyen de communication dont vous voulez nous faire croire qu’il est intrinsèquement porteur de liberté ».
Le fait que la plupart des sites visés se trouvent sur un réseau opéré par Edgecast, une filiale californienne de la firme Verizon, est considéré comme révélateur du caractère arbitraire de ces blocages : l’éventail des sites touchés résulterait davantage d’un choix technique que d’une sélection « politique » de sites. Cependant, c’est une fonction de réplique de sites censurés assurée par Edgecast qui semble avoir motivé les autorités chinoises, ce réseau servant à l’organisation Greatfire.org à mettre à disposition des internautes chinois des sites miroirs de pages situées hors de Chine que la censure exercée par Pékin rend inaccessibles, dont YouTube, le magazine The Atlantic ou des pages de Mozilla. Mais les pages de sites commerciaux comme celui de Sony ont aussi été cette fois-ci frappées par la censure, de même que celles du système de gestion de contenus en ligne Drupal. Comme les autorités chinoises ne se donnent pas la peine d’expliquer ce qui les motive, on en est réduit aux conjectures, la plus vraisemblable étant que tous ces sites seraient des victimes collatérales de mesures de censure visant un site miroir de Baidu sur lequel des blogs critiques d’internautes chinois auraient jusqu’ici échappé à la censure grâce à leur hébergement sur le cloud.
Amnesty International a estimé que l’organisation de la conférence Internet par la Chine reflète un effort de ce pays d’influencer les règles en vigueur dans le cyber-espace et a vu dans le regain de censure « un signe de plus que la liberté du Net est sous attaque permanante ». Pour Greatfire.org, les autorités « tentent de couper la Chine du Net global ». La méthode utilisée est celle de l’« empoisonnement de DNS », qui consiste à injecter de fausses données dans le cache des serveurs renseignant les noms de domaine, de façon à orienter les trafics vers des adresses IP erronées : du coup, les requêtes des internautes n’aboutissent pas. Alors que les investisseurs américains font les yeux doux au géant chinois du commerce en ligne Alibaba à l’occasion de son entrée en bourse à Wall Street, ce n’est sans doute pas des milieux financiers occidentaux qu’il faut s’attendre à une pression conséquente en faveur de la liberté du Net en Chine. En revanche, l’impact de la censure indiscriminée est tel qu’il indispose désormais les firmes allemandes exportant vers la Chine. Au point qu’elles ont manifesté, lors d’une enquête de la Chambre de commerce allemande, leur crainte que ces entraves leur causent des pertes.
Selon la BBC, la Chine n’emploie pas moins de deux millions de personnes pour mettre le Net au pas : cette police du Net exerce notamment un contrôle étroit de tous les blogs rédigés dans la République populaire. Jusqu’ici, les observateurs avaient noté que les actes de censure susceptibles d’entraver l’activité économique étaient en général évités. Ce rempart tout relatif contre les coups de boutoir des censeurs semble à présent sur le point de céder à son tour.