Le magazine Wired a qualifié d’« excellente nouvelle pour Internet » l’intervention de Barack Obama ce lundi en faveur de la neutralité du Net. Dans ce débat très controversé, complexe et technique à souhait, le président américain est descendu dans l’arène de manière univoque et engagée en demandant à la Commission fédérale des communications (FCC) de « répondre à l’appel de près de quatre millions de commentaires publics en adoptant les règles les plus fortes possibles pour protéger la neutralité du Net ». « Je crois que la FCC devrait créer une nouvelle série de règles protégeant la neutralité du net et assurant que ni les câblo-opérateurs ni les opérateurs de télécommunications ne puissent intervenir comme gardiens, restreignant ce que l’on peut faire ou voir en ligne », a encore déclaré Obama.
Même s’il n’a pas omis de discuter la problématique sous son angle économique, en insistant notamment sur la nécessité de maintenir un environnement favorable à l’innovation sur Internet, Obama a choisi de l’aborder en premier lieu sous l’angle politique, en faisant de la neutralité un enjeu démocratique.
Le plaidoyer clair d’Obama en faveur de la neutralité du Net a une portée symbolique qui ne peut être sous-estimée, y compris au-delà des frontières des États-Unis. Un Internet ouvert, fait valoir Obama, « en réduisant le coût du lancement d’une nouvelle idée, en initiant de nouveaux mouvements politiques, en rapprochant des communautés, a été l’une des influences démocratisantes les plus significatives qu’ait jamais connues le monde ».
Alors que la neutralité a indiscutablement été à l’origine un des éléments constitutifs d’Internet, une caractéristique qui allait de soi pour tous les participants et une garantie d’ouverture et de résilience du réseau, l’importance des enjeux économiques qu’il représente désormais a eu pour corollaire son érosion progressive. Faisant valoir la nécessité de financer les investissements requis pour offrir la bande passante attendue par leurs clients, se plaignant de leur manque d’intéressement aux bénéfices que tirent certains intervenants en ligne du transfert de contenus empruntant leur infrastructure, les FAI et opérateurs ont souvent adopté d’obscures et inavouables techniques pour favoriser certains trafics au détriment d’autres. Ils ont pu par exemple dans certains cas limiter la part de bande passante accordée à Netflix pour forcer celui-ci à passer un accord avec eux, ou pour favoriser leur propre offre de vidéo à la demande. Dans d’autres cas, notamment sur les mobiles, ils peuvent être tentés de freiner des services de téléphonie IP gratuits pour s’éviter un manque à gagner pour leurs propres services tarifés. Une pratique que le président Obama juge inacceptable : « Aucun service ne devrait être confiné sur une ‘voie lente’ parce qu’il ne paie pas de commission ».
On en revient donc à la question de base : l’accès à Internet, même si ce sont des entreprises privées qui le fournissent, doit-il être considéré comme un service public au même titre que le téléphone, l’eau, l’électricité ou le tout-à-l’égout, et donc réglementé de manière analogue ? D’après la plupart des experts cités par les médias américain, malgré le langage fort employé par le président, ce n’est pas gagné, et ce pour plusieurs raisons. Le président est affaibli par la récente victoire aux élections midterm des Républicains, qui contrôlent désormais le Congrès et peuvent vouloir se faire le porte-voix des fournisseurs d’accès à Internet au nom de leur hostilité de principe aux réglementations. La FCC est un organe indépendant et peut ignorer l’appel du président. Ensuite, les règles de défense de la neutralité que pourrait être amenée à adopter la Commission fédérale risquent de faire l’objet d’un tir de barrage juridique de la part des FAI qui s’estimeraient lésés : les règles énoncées en 2010 ont ainsi été invalidées après avoir été attaquées en justice. Enfin, un certain nombre d’accords signficatifs passés ces derniers temps entre FAI et diffuseurs mettent déjà sérieusement à mal le principe de neutralité, ce qui risque de limiter la portée des règles éventuelles de la FCC. Pourtant, les internautes du monde entier gagneraient à ce que l’appel d’Obama se traduise par un ancrage de la neutralité dans la législation américaine.