Dire que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), créée par le gouvernement français en 2010 pour lutter contre le partage en ligne de fichiers protégés par le droit d’auteur, a eu du mal à s’imposer est une litote. Rarement, un organisme officiel n’aura été autant vilipendé. Cela a commencé par la découverte atterrante que son premier logo avait été confectionné, sans autorisation, à partir de fonts appartenant à France Télécom. En 2011, la Haute Autorité annonçait en catastrophe la suspension temporaire de son interconnexion avec l'entreprise TMG, chargée de lui transmettre les relevés des ayants droit, suite à une sévère faille de sécurité décelée sur les serveurs de cette dernière. La loi Hadopi2, censée compléter la première loi de ce nom, a été partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel. Les initiatives de l’instance, souvent mal inspirées, pour créer une « riposte graduée » contre le piratage d’œuvres protégées, ont été autant de coups d’épée dans l’eau, avec un nombre ridiculement bas de procédures menées à leur terme.
A présent, l’Hadopi, cible traditionnelle des quolibets des internautes, est paradoxalement dans le collimateur de représentants des ayants-droit, ceux-là mêmes qu’elle est censée protéger du pillage. Lors du récent congrès de la Fédération nationale des cinémas français, qui regroupe les exploitants de salles, Nicolas Seydoux, président de Gaumont et de l’Alpa, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, a violemment critiqué la Haute Autorité et son secrétaire général, Eric Walter, accusant la première de ne pas assez défendre les ayants-droit et le second d’avoir un « comportement inqualifiable » pour avoir déclaré que le problème du téléchargement était « réglé ». La Hadopi est donc de plus en plus coincée entre le marteau et l’enclume. Pour ne rien arranger, elle aborde 2015 avec un budget a minima (six millions d’euros, comme en 2014, alors que sa masse salariale s’élève à 5,5 millions), qui fait s’interroger ses plus ardents défenseurs sur son avenir.
Pour des raisons que l’on peine à démêler, le gouvernement socialiste l’avait maintenue en vie en 2012, sans pour autant prendre de mesures susceptibles de la légitimer et de lui donner les moyens de son action. Après la nomination au ministère de la culture de Fleur Pellerin, réputée plus proche des entreprises que sa prédecesseure Aurélie Filipetti, certains s’attendaient à ce que les perspectives de l’organisme s’améliorent. Et effectivement, elle a commencé par déclarer au Monde que ses missions ne seraient pas transférées au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Fleur Pellerin a également cautionné une récente initiative de la Haute Autorité visant à intensifier la « lutte contre la contrefaçon commerciale » à travers un programme de lutte contre les sites de streaming et de téléchargement direct.
Or, cette réorientation pose deux problèmes. D’une part, elle n’est pas, ou du moins pas encore, encadrée par la loi. D’autre part, il est légitime d’affirmer que le succès des sites de streaming repose au moins en partie sur la crainte qu’inspire l’existence de la riposte graduée – même si celle-ci a une efficacité pratique des plus limitées. En d’autres termes, incapable d’assumer sa mission première, la Haute Autorité s’emploie à éteindre, sans cadre législatif, un deuxième incendie causé partiellement par ses actions malheureuses pour tenter de maîtriser un premier sinistre…