Les brevets consistant à accomplir des actes de la vie quotidienne sur un ordinateur, qui ont fleuri au cours des deux dernières décennies aux États-Unis grâce à un Office des brevets excessivement complaisant, sont peut-être sur le point de retourner vers l’endroit qu’ils n’auraient jamais dû quitter : la poubelle. Dans Vox, un site de news étatsunien en vue, Timothy B. Lee rapporte avec satisfaction que depuis une décision historique de la Cour suprême qui ne date que du mois de juin, onze de ces brevets fantaisistes sur des logiciels ont déjà été déclarés nuls par différents tribunaux.
C’est une bonne nouvelle, signe que la plus haute autorité judiciaire américaine commence à évoluer quelque peu sous l’effet des nominations de Barack Obama et qu’elle commence à aborder les questions liées aux nouvelles technologies de manière plus sensée. Même s’il ne faut pas se réjouir trop tôt, cet arrêt est peut-être aussi le signe que l’âge d’or des « patent trolls », ces firmes d’avocats qui déposent des brevets en misant sur la complaisance de l’United States Patent and Trademark Office et sur le coût élevé des litiges en matière de propriété intellectuelle pour remplir leurs caisses est révolu. On peut aussi espérer qu’il calmera les ardeurs des grands acteurs des nouvelles technologies, d’Apple à Microsoft, de Google à Amazon, qui ont eux aussi multiplié ces dernières années les dépôts de brevet sur des inventions qui n’en étaient pas, juste pour décourager leurs concurrents et d’éventuels nouveaux entrants de venir se frotter à eux.
L’arrêt de la Cour suprême qui a déclenché ce virage dans la jurisprudence sur les brevets s’appelle Alice v. CLS Bank. Le brevet en question, qui a été annulé, consistait à utiliser un ordinateur pour conserver des fonds en séquestre sur le compte d’un tiers pour réduire le risque de défaut d’une partie à un accord. Dans ses attendus, la Cour suprême limite sévèrement ce qui est brevetable en matière logicielle : elle exclut les brevets sur des idées abstraites et précise que le fait de mettre en œuvre une idée abstraite sur un ordinateur standard n’en fait pas une invention brevetable. Dans le cas d’espèce, les juges ont estimé que cette pratique du séquestre existait depuis des siècles et qu’il ne suffisait pas de l’effectuer sur un ordinateur pour en faire une invention susceptible de protection contre les imitateurs.
Les juristes spécialistes des questions de propriété intellectuelle subodoraient la portée de cet arrêt, qui conforte un autre arrêt semblable de l’année 2010. Mais il a fallu attendre de voir comment le vent allait tourner dans les juridictions appelées à l’interprêter. Un dispositif de télécommunications « inventé » par le fournisseur d’accès Comcast, qui consistait à tester un utilisateur avant d’établir une connexion, a ainsi été rejeté par un tribunal du Delaware, au titre qu’un tel test pouvait aisément être effectué par un humain. Un autre brevet censé aider ceux qui pratiquent un régime à choisir leurs aliments, notamment à l’aide d’images, a été invalidé à New York. D’autres « brevets » écartés concernaient la gestion de palettes de couleurs, le jeu de bingo, un lien entre un crédit sur hypothèque et un compte courant, la vente incitative…
L’arrêt Alice v. CLS Bank sonne-t-il donc le glas des brevets logiciels aux États-Unis ? Sans doute pas. Timothy B. Lee rappelle qu’il en existe des centaines de milliers et que les tribunaux ne les annuleront pas tous. Même si les attendus de la Cour suprême peuvent dans l’absolu déboucher sur cette éventualité au fil des procès, certains de ces brevets semblent malgré tout solides. En revanche, face au risque de voir le brevet qu’ils invoquent invalidé et leur « arsenal de guerre » écorné, les patent trolls hésiteront davantage, désormais, avant d’engager des poursuites.