L’application mobile Tinder est un des réseaux sociaux ayant connu la plus forte croissance ces dernières années. Créée sur un campus californien en 2011, elle propose à ses utilisateurs de commencer par définir un rayon situé autour de leur localisation. À l’intérieur du cercle ainsi défini, elle va ensuite, après avoir recueilli des données relatives à leur profil et en fonction des préférences définies dans l’application, leur trouver et leur proposer des partenaires pour des rencontres, le premier contact se faisant par chat sans envoi d’images. Tinder (amadou en anglais) est donc un vaste club de rencontres en ligne.
Sa recette est simple, mais efficace : Tinder est aujourd’hui disponible en 24 langues, serait utilisé par dix millions de personnes chaque jour et a une valorisation de l’ordre d’un milliard de dollars. Mais ces derniers mois n’ont pas été un long fleuve tranquille pour la start-up, avec une sombre histoire de harcèlement sexuel qui a donné lieu à la suspension d’un de ses dirigeants.
L’affaire de harcèlement a défrayé la chronique en raison de la notoriété acquise par Tinder, mais sans doute aussi parce qu’une plainte pour harcèlement sexuel impliquant les dirigeants d’un club de rencontres offre tous les ingrédients d’une histoire sulfureuse. La plainte a été déposée fin juin dernier par
une cofondatrice de Tinder et ancienne responsible marketing, Whitney Wolfe, contre Matchgroup, une filiale de la société IAC qui contrôle et opère Tinder. Wolfe accuse ses collègues à la direction, dont Sean Rad et Justin Mateen, de l’avoir discriminée, harcelée sexuellement et de l’avoir soumise à des représailles. Rad aurait retiré à Wolfe son titre de cofondatrice, ce que cette dernière a mis sur le compte du fait qu’elle est une femme. Dans un premier temps, le responsable marketing de Tinder, Justin Mateen, qui avait eu une relation épisodique avec Wolfe au cours des deux années précédentes, a été suspendu par Sam Yagan, d’IAC, pour la durée de l’enquête. Aucune des parties impliquées n’a reconnu de faute, et l’affaire a fini par faire l’objet d’un arrangement extra-judiciaire, Wolfe obtenant selon la rumeur un million de dollars. Il y a quelques jours, Sean Rad, le CEO, a été écarté par Sam Yagan, et invité à rejoindre le conseil d’administration de la société.
Les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire sont obscurs et le resteront problablement. Certains ont cru pouvoir mettre la décision de renvoyer Rad sur le compte de cette affaire de harcèlement, non pas pour des raisons morales mais en raison de l’incertitude qu’elle a générée : c’est le cas du magazine Forbes, qui a le premier révélé son départ. Mais d’autres y voient plutôt une décision stratégique du propriétaire de Tinder destinée à faciliter son évolution vers un centre de profit tout en ménageant sa spectaculaire croissance.
Car à ce jour, Tinder, malgré son succès, n’a généré aucun revenu. Certes, les informations que lui confient ses utilisateurs constituent un trésor que de nombreux autres réseaux sociaux comparables ont réussi à « monétiser », que ce soit par le biais de ressources publicitaires, de partenariats, de formules premium ou d’autres modèles. Sean Rad se préparait ces derniers mois à présenter un modèle d’affaires fondé sur un abonnement premium dit Tinder Plus. Certains ont suggéré que Sean Rad ne présentait pas suffisamment d’expérience en tant que dirigeant d’entreprise pour accompagner cette évolution.
Rendant compte du départ forcé de Rad, les publications spécialisées ne se sont pas privées d’utiliser une analogie avec un des gestes tactiles utilisés dans l’application Tinder, un swipe (glissement) vers la gauche qui sert à écarter des contacts proposés parce que jugés inintéressants. Et voilà que justement, la version payante Tinder Plus proposera vraisemblablement deux nouvelles options dont l’une concerne ce « left swipe » : la possibilité d’examiner à nouveau et de sélectionner des profils précédemment écartés. L’autre option de la version payante achèverait d’internationaliser Tinder, puisqu’elle est censée permettre à l’utilisateur de voir des profils que l’application sélectionnerait pour lui lors de ses voyages aux quatre coins du monde.