L’économie de partage qui fleurit à travers le monde grâce à la connectivité offerte par Internet et les smartphones fait-elle partie des facteurs qui inhibent la reprise économique tant attendue ? Sans doute, si cette reprise est censée s’appuyer sur les modes de consommation qui ont étayé la croissance de ces dernières décennies, fondés sur la possession, notamment d’automobiles, et l’accession à la propriété immobilière. Il est vrai que les emplois créés par les nouvelles technologies dans les pays industrialisés n’ont pas suffi à compenser le manque d’appétit des jeunes de 2010 pour les voitures. Une personne âgée aujourd’hui de 20 à 35 ans accorde bien plus de valeur à la possession d’un smartphone qu’à celle d’une voiture. Ce téléphone intelligent lui permet de rester en contact avec des amis habitant à des milliers de kilomètres ; il lui permet aussi de louer à bon prix un véhicule quand il en a besoin. Au lieu de passer quelque 95 pour cent ou plus du temps garée tout en grevant le budget de son propriétaire, la voiture partagée se commande à tout moment grâce à une connexion Internet et cesse bientôt d’être un objet de désir.
L’impact de la connectivité sur le marché immobilier est plus indirect mais n’en est pas moins réel. Une personne connectée et préférant ne pas dépendre d’une voiture privée aura évidemment d’autres aspirations en matière d’habitat. Une étude du Centre d’études de l’habitat de l’Université de Harvard a constaté qu’entre 2006 et 2011, le nombre de propriétaires de logement parmi les adultes étatsuniens de moins de 35 ans s’est réduit de douze pour cent. Certes, la crise économique a contribué à cette forte baisse. Mais à y regarder de plus près, elle n’en est pas la seule cause, et il est fort probable que, lorsqu’ils s’établir, ceux que les années de récession ont écarté du marché immobilier aspireront à autre chose. Au lieu du fameux « sprawl » qui a abouti aux gigantesques cités-dortoirs formées de micro-quartiers qui entourent les villes américaines, ils recherchent des centres-villes denses ou des quartiers résidentiels praticables à pied et à l’aide de transports en commun ou de bicyclettes privées ou de location. En plus de ne plus concevoir ses besoins en termes d’habitat en fonction d’une voiture possédée à titre privé, le jeune Américain connecté du XXIe siècle valorise les relations sociales plus ouvertes et plus communautaires de ces centres et quartiers plus densément peuplés de personnes faciles à rencontrer – grâce notamment à une meilleure connectivité.
Certes, la connectivité n’est pas le seul facteur qui contribue à ces évolutions dans les aspirations des jeunes Américains. Mais, si l’on considère le succès ces dernières années de Zipcar, une plateforme de partage de voitures forte de 700 000 membres, celui d’Uber, qui révolutionne le marché de la voiture avec chauffeur, ou celui d’Airbnb, qui permet aux voyageurs de louer des chambres à bon compte chez l’habitant, c’est bel et bien une forme d’économie de partage qui s’impose graduellement en s’appuyant à chaque fois sur les ressources du Net.
Ceux qui attendent une reprise immobilière forte États-Unis, comparable à celles qui ont traditionnellement marqué les sorties de récession ces dernières décennies, risquent donc d’être déçus. Si reprise il y a, elle sera davantage alimentée par la croissance des différentes plateformes de partage et la rénovation de centres-villes et de quartiers praticables à pied que par l’accélération des ventes de voitures neuves et les mises en chantier de maisons individuelles situées au fond de culs-de-sac résidentiels. Une telle évolution déboucherait sur une croissance d’une nature différente de celles des années de vaches grasses du XXe siècle, avec des taux bien plus timides, mais on peut aussi gager qu’elle créerait une société aux relations plus denses et plus propice aux échanges intelligents.