Les Rotondes ont toujours été un exemple de lieu culturel au Luxembourg. Entre avant-garde, musiques alternatives, néo-théâtre, émergences artistiques, fusion des arts visuels, diversité des programmations et une prise de risque constante, l’espace offre un schéma artistique qui respire une certaine inspiration berlinoise, assez unique dans le coin. Le cycle Loop initié en 2008 par Steph Meyers a de fait, toujours été dans cette lignée, fort de propositions osées, aiguisées, drôles et évidemment attirantes. Cette année, sous la coordination de Marc Scozzai, les Rotondes montrent une rétrospective bienvenue de ces dix années de création vidéo, le moment d’un tour d’horizon d’une expo de boucles vidéographiques qui a trait à l’hypnose.
Le cycle Loop accueille depuis dix ans de nombreuses créations vidéo singulières et, pour la plupart, composées pour les contraintes et dimensions du concept. Du CarréRotondes, sur les murs de l’Exit07, jusqu’au déménagement du centre culturel aux Rotondes en 2015, projetées sur le mur surplombant le comptoir de la Buvette, plus de vingt œuvres d’artistes du numérique et de vidéastes, ont été diffusées. Garnies ainsi d’une belle collection, les Rotondes ont décidé d’installer tout ça dans un nouveau cadre d’exposition. Au cœur d’une proposition scénographique qui s’affranchit de certains codes muséaux. C’est sur une myriade d’écrans suspendus que les vidéos sont diffusées, proposant une vision globale de ces dix ans, tout en respectant les lignes tracées par le concept d’origine, dans un parcours de visite sans contraintes de temps, de mouvement ou de posture…
En 2008, Paul Kirps ouvre le bal avec On Air, une vidéo inaugurale assez timide montrant un tableau de bord « machinique », fait d’une radio, d’un moniteur et d’un ordinateur. Une proposition relativement figée mais gentiment lénifiante, habitant néanmoins plutôt bien les contraintes de l’exercice.
Eric Schockmel montre Kernel Tourist en 2009, une boucle à la belle harmonie colorimétrique, super-psychédélique offrant une ligne d’horizon sur des paysages étranges modelés en 3D. La même année, Beryl Koltz présente Last Exit To Brooklyn, sorte de vidéo de voyage qu’on dirait tournée en sous-sommeil, où l’on suit le rythme d’une rame de métro new-yorkaise comme si on avait la joue collée à une vitre d’un wagon, les yeux à demi ouvert. Wennig&Daubach clôturent la deuxième saison, avec Catch All, une proposition hyper-intéressante sur le mot. Des mots venus du public, peints par des acteurs sur une vitre, donnant à entendre tantôt la révolte, tantôt l’adoration.
Steve Gerges essuie les plâtres de la troisième saison, avec une œuvre baptisée Form.Ex ultra-graphique, où l’utilisation de la forme implose d’une créativité presque indigeste. Salvateur, Yann Tonnar tranche avec ce surplus de géométrie, en livrant une ode à la lenteur dans De Schleek (2010), un court-métrage drôle et calme, mettant en vedette un escargot. Jeff Desom poursuit cette dynamique de proposition plus franches et moins alambiquées d’effets, en montrant son Rear Windows : une vue panoramique de la fenêtre sur cour issu du fameux film d’Alfred Hitchock. Très prenante, la boucle est inévitablement devenue culte avec le temps.
2011 s’ouvre sur le projet kitsch assumé Always the sun, de Pierre Busson & Morgan Fortems qui ne stimule pas grand-chose, mais pis, le projet Visit Luxembourg, en photo motion de Serge Ecker est une immense déception, tant la boucle souffre d’une pauvreté esthétique et narrative. Heureusement, Thierry Besseling sauve la saison avec Klangfigur, une étonnante vidéo, entre drame et lyrisme, futur et présent, palpable et impalpable.
Le magnifique, aérien et chorégraphique Body & Water (2012) de Julie Schroell & Martine Glod ouvre une nouvelle saison de Loop. Poursuivi par l’artiste Mik Muhlen alias Omniscientbeing, qui se rate complètement en proposant Solar, une boucle surannée au possible à la limite du « malaisant », le néologisme étant tout trouvé. Avec Death Duck Doom, Claude Grosch réussit le pari du contexte d’exposition, en racontant en cinq vignettes animées, l’histoire d’un canard qui se fait bouffer par un crocodile. Un tout petit film, à l’esthétique pastel granuleuse qui ferait un amusant conte pour enfant.
2013 s’ouvre avec Romantic Hierarchy 2, de l’incisif Filip Markiewicz qui ici, tempère un poil son discours habituel, montrant une fresque mouvante aux allures pop sucrée bien calé dans les limites de présentation. Le duo Linda Dieschbourg et David Mourato présente Surrealentity, une boucle kaléidoscopique et psychédélique qui fonctionne bien mais donne un sentiment de déjà-vu. Le très fun Blockwith de Guillaumit & Yann Van Der Cruyssen ouvre la saison 2014 avec de l’humour, une rétro attitude subtile et une proposition vidéo ludique aguicheuse.
De même, Sven Becker & Paul Schroeder réussissent leur coup l’année d’après avec leur Pixelstick, mais semble limiter leur proposition, certes jolie, à une sorte de clip promotionnel. Steve Gerges lui, tranche avec la tradition du cycle Loop de montrer des images à tout prix. L’œuvre interactive Lan 2.0, nécessite l’intervention d’un public pour s’activer et force ainsi, a contrario des projets précédents, à une expérience du mouvement devant l’image.
François Schwamborn suit cette dynamique interactive avec Feedback, en livrant un projet créant du visuel à partir d’une audio-réaction. Une loop ludique et intéressante, à l’inverse de Alpha d’Isabelle Mattern, qui dans la forme sombre dans le trop concept et dans le fond, use d’un débat usé et usant.
To Drunk To Fuck, présenté l’année dernière et signé Waterkeyn & Welfringer exploite bien le niveau narratif du concept, en donnant à voir une histoire hilarante et prenante qui malheureusement se lit plus qu’elle ne se voit. Pour finir, cette année, Jill Crovisier et Thibault Brunet entre fièrement dans la collection Loop, la première proposant D A N S, une envoutante compilation de trois de ses court-métrages sur le mouvement, le second – et sûrement le clou de l’exposition – livrant Réminiscence, une boucle d’une beauté sidérante qu’on pourrait regarder continuellement, comme un tableau mouvant qu’on accrocherait au mur, au-dessus de la cheminée.
Dix ans que ça dure et dix ans que les contraintes sont les mêmes pour les artistes. Seul le format aura un tantinet changé, même si l’horizontalité du panoramique est toujours de mise, Loop dans les premiers temps, offrait aux créateurs dix sur trois mètres d’espace, pour se réduire à sept fois deux mètres au déménagement et finalement trouver un petit cinq mètres sur un ici dans cette exposition d’une décennie.
Pourtant, ça suffit largement à nous mettre dedans. Les seuls bémols de l’expo résident dans son parcours aléatoire et dans une médiation risquée, offerte par un livret que peu liront. Aussi, sans les bonnes lignes de lecture, certaines vidéos sont insaisissables ou se trouvent biaisées de leur propos originel. Mais la force de l’exposition est aussi là : dans cet espace circulaire, épuré de cimaises – les murs d’une exposition –, où 23 vidéos flottantes – seule la seconde version de la boucle de Steve Gerges est présentée faisant disparaître de l’exposition la #16 –, accrochées au plafond, envahissent les airs, forçant à lever les yeux pour capter les images. Dans cette liberté absolue au sol, la chronologie est, de fait, brisée, comme pour signifier que Loop est ici une exposition à part entière, créée d’un commissariat décennal, mais trouvant une nouvelle vitalité et surtout, sa propre identité.