C’est comme si le titre de l’exposition du Mac Val, musée d’art contemporain du Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine, avait été emprunté à une série d’œuvres de David Brognon et Stéphanie Rollin, les néons blancs qui font concurrence à la chiromancie, reproduisant, agrandissant les lignes de la main ; elles sont multiples, signifiantes diront les interprètes, la ligne de vie, ligne vitale en premier. On sait que Brognon et Rollin s’attachent aux mains de personnes dont la destinée est particulière, toxicomanes par exemple, des existences qui ont des failles, aux marges de la société.
Lignes de vie – une exposition de légendes, dit-on à Ivry. Introduisant de suite cette part de fiction qui sied à la création, quelle qu’elle soit, plastique, littéraire, ou autre. Ce qui ressort aussi du livre qui fait fonction de catalogue, un recueil de textes originaux, d’une dizaine d’auteurs, dont l’excellent chroniqueur de Charlie Hebdo, Yannick Haenel, qui dans la suite de Rimbaud, entre parfaitement dans le jeu du je (et d’un autre) ; son texte ne commence-t-il pas par cette mise en abyme : « Je suis le narrateur des romans de Yannick Haenel. J’ignore encore pourquoi il a choisi un type comme moi… peut-être même suffisamment souple pour le supporter. »
Le visiteur entre dans la grande salle d’exposition du Mac Val, quelque 80 artistes y sont réunis, dans la plus grande interrogation, voire mise en question de l’idée (de sa solidité) de l’identité. Des noms connus, comme Orlan et son recours à la chirurgie esthétique, comme Claude Closky, Annette Messager ou Michel Journiac. Autrement, la liste serait longue, des découvertes, des expériences, inattendues, comme avec Raphaël Fabre, ses images retouchées, images de soi virtuelles, versions de fictions, et quand même acceptées pour sa carte d’identité. L’interpellation est constante, pour Clément Rosset, dès 1999, dans Loin de moi, elle s’avérait radicale : « J’ai toujours tenu l’identité sociale pour la seule identité réelle… le reste, ce que vous pouvez penser ou vous représenter provisoirement, appartient au domaine à jamais invérifiable… ».
Domaine où l’artiste peut s’en donner à cœur joie, en toute liberté. Comme le visiteur le fait dans le dédale que constitue de façon heureuse l’exposition. Seul point fixe, de repère : l’espace de lecture aménagé en son cœur. Alors que sur trois côtés, en haut des cimaises, brillent les néons de Brognon et Rollin, interrogent sur les vies, les destins de Carlos, de Virginie, de Jean.
Une deuxième exposition a lieu parallèlement, Persona grata ?, interrogation là encore, sur une hospitalité en danger, avec des œuvres de la collection du musée. Des œuvres de David Brognon et Stéphanie Rollin y figurent. À commencer par une installation comme une salle d’attente, des chaises donc, des tickets froissés au sol, au mur un caisson lumineux (où l’on s’attend à voir apparaître un chiffre). S’y succèdent toutefois 52 teintes bleues, suivant la charte de mesure d’un savant pour les changements de nuances dans le ciel sur les bords du lac Léman. Sur les papiers part terre, la 53e nuance du cyanomètre de Saussure, attente et espoir déçus, on ne sait trop, une salle vide de présence en tout cas, des papiers abandonnés… Quelques-uns des tableautins découverts l’année passée à la galerie Untilthen, à Paris, reprennent le thème des sièges.
David Brognon et Stéphanie Rollin aiment voyager. Voici la jeune femme, sur une vidéo, le long du mur d’Hadrien, fortification par les légions romaines au nord de l’Angleterre, entre 122 et 127 après J-C. Elle en sort une pierre, qu’elle déplacera, introduira dans différents pays, aux pieds d’autres murs, plus contemporains, Calais, Melilla, Idomeni, Tijuana… ils ne manquent pas. La vue bucolique que donne la boucle courte et répétitive est trompeuse, les artistes servent également à cela, détromper, désabuser. Brognon et Rollin le font à leur manière, la plus précise, sans concession autre que la poésie.