Pourquoi ne va-t-on plus au Casino ? Pourquoi le Forum d’art contemporain, fondé en 1996 comme asbl, après avoir servi comme Kunsthalle improvisée durant la première année culturelle de 1995, est-il devenu si ennuyeux ? Pourquoi n’y a-t-il plus personne aux vernissages ? Pour l’ouverture de la monographie de Christoph Meier – pourtant un artiste de grande renommée dans les circuits internationaux et, qui plus est, un sacré fêtard, qui offrait même du mezcal gratuit aux visiteurs –, les curieux se comptaient sur les doigts de quelques mains l’année dernière. Pourquoi l’endroit, qui affirme, sur son site internet, vouloir donner « un vaste aperçu de la création contemporaine » et se définit comme « laboratoire d’expérimentations artistiques », n’attire-t-il pas les bobos et les hipsters obsédés par le fomo (fear of missing out), toujours à la recherche du dernier hype ?
Parce que le hype n’y est plus, tout simplement. Les raisons en sont en partie exogènes : l’éternel chantier de la rue Notre-Dame demande du courage aux piétons qui veulent s’y rendre ; le restaurateur HB Catering n’a jamais saisi l’esprit du lieu et faisait payer le prix fort aux amateurs d’art qui voulaient casser la croute ou boire un verre1. Mais elles sont aussi endogènes : la nouvelle architecture, depuis 2016 ; la programmation spartiate et difficile d’accès ; la communication défaillante et la mauvaise ambiance qui y règne et qui se ressent, les départs de personnels étant nombreux. Il suffit de s’y rendre un jour lambda pour ressentir le malaise : le foyer accueille un broll pas possible, présentoirs de livres et éléments d’expositions qui ont lieu hors les murs (Venise, Kirchberg…) ; la magnifique verrière de Prouvé étant réduite à accueillir expositions d’élèves et ateliers pour enfants.
Ce fut une erreur de supprimer tout un étage, le rez-de-chaussée, pour les expositions lors des transformations en 2016. Loin d’attirer les chalands qui se perdraient dans le quartier, comme il fut espéré, cet étage ressemble désormais à un centre commercial, avec de petits commerces – l’Infolab-bibliothèque, le restaurant, la librairie, une salle de projection intitulée Black Box et une salle accueillant une station de réalité virtuelle (avec le Film Fund). L’entrée à l’étage des expositions est désormais gratuite, mais cela ne change rien au fait que l’on peut la plupart du temps y déambuler seul pour voir les expositions minimalistes qu’on visite en dix minutes (voir ci-contre). Alors qu’en 1996, pleine d’endorphines des succès de 1995 encore, l’équipe fondatrice (Enrico Lunghi pour la programmation artistique et Jo Kox pour l’administration), organisa une douzaine d’expositions, le Casino en est désormais à un rythme de croisière de quatre expositions par an, plus quelques événements connexes, comme les projections dans la Black Box ou des expositions hors les murs2. Les expositions sont organisées avec des structures partenaires, à savoir la Fonderie Darling à Montréal et le Cube Project Space à Taipei – pourquoi celles-là ? En règle générale, Kevin Muhlen en est le commissaire ; parfois même aussi un des artistes, intervenant comme musicien aux vernissages ou dans des vidéos. Au XXIe siècle, tout est dans le réseau.
Muhlen fut nommé directeur artistique et successeur d’Enrico Lunghi (alors parti diriger le Mudam, succédant à Marie-Claude Beaud) en 2009 – sans appel à candidatures et sans avoir soumis de projet artistique. Lorsque Jo Kox, qui avait encore très activement participé au projet de refonte de la maison, quitta le navire après y avoir passé vingt ans, Muhlen prit soin d’adapter l’organigramme et de se faire promouvoir directeur général, la nouvelle responsable administrative, Nancy Braun, lui étant subordonnée3. Lorsque Paul Reiles, l’ancien directeur du Musée national d’histoire et d’art, qui avait porté le projet d’un forum d’art contemporain à bout de bras dès 1994 et présidé l’asbl Casino depuis ses débuts, partit lui aussi à la retraite, Muhlen choisit lui-même son nouveau président – en l’occurrence une présidente, Delphine Munro. Cette responsable du département art et culture de la Banque européenne d’investissement au Kirchberg s’était essayée à plusieurs reprises, avec un succès inégal, comme commissaire d’exposition, notamment de la collection de la BEI au Cercle-Cité – mais elle est à mille lieues du monde de l’art autochtone4. Bien que Kevin Muhlen soit de toutes les commissions et de tous les jurys – Venise, Œuvre, Kunst am Bau…– il est insaisissable, ne communique pas (ni en interne, ni en externe : plus de rapport annuel, plus de conférences de presse pour annoncer la saison).
Alors tout cela pourrait être leur affaire, s’il ne s’agissait que d’une petite association privée sans but lucratif. Mais le Casino reçoit beaucoup d’argent des caisses de l’État : 2,56 millions d’euros cette année, jusqu’à 2,6 en 2022 – un demi-million de plus que les Rotondes à Bonnevoie. Mais où va cet argent ? En 2018 (lit-on dans leur excellent rapport annuel), les Rotondes ont organisé 532 (!) manifestations, soit plus de 1,4 par jour, et attiré plus de 100 000 spectateurs, tous publics confondus (oui, aussi celui qui vient voir les retransmissions de matchs de football). En 2015 (dernier rapport public), le Casino, par contre, ne comptait que 15 000 visiteurs sur l’année entière. Bien sûr, il serait injuste d’établir un lien entre nombre de spectateurs et qualité d’une programmation. Mais si déjà on est peu nombreux à y aller, on veut au moins être désarçonné par ce qu’on y vit, bouleversé par des œuvres esthétiquement ou philosophiquement radicales. Or il n’en est rien. Loin de là...
Rectificatif
La nouvelle responsable administrative du Casino Luxembourg s’appelle Ruta Franke. Elle est assistée de Kim Stemper, qui avait assuré l’intérim depuis le départ de Nancy Braun.