« C’est fou, tout ce qu’on peut faire avec quelques cageots de bière », dit Gilles Rod dans un grand sourire. En bermuda et tongs du dimanche, il a la charge ce matin-là de surveiller l’exposition Quick & Dirty – Two dans une maison ouvrière « en transition » (nouvel euphémisme pour « en voie de gentrification ») de la rue du Cimetière à Bonnevoie. Il y a quatre ans, Rod avait organisé un événement similaire quelques maisons plus loin (voir d’Land du 18 septembre 2015), alors quand le copain qui venait d’acheter cette maison-ci lui a proposé de faire une deuxième édition de cette exposition éphémère de photographie, il n’a pas hésité une seconde. Des cageots de bière, il en a finalement fallu une vingtaine, quelque 500 visiteurs seraient passés entre le vernissage vendredi dernier (avec météo idéale pour glander durant une soirée à discuter dans le jardin) et dimanche soir, un succès si fulgurant qu’une ouverture ce mercredi soir a été improvisée pour que les absents du week-end puissent voir l’exposition.
La recette est la même que pour la première édition : il y a zéro budget, Gilles Rod, qui est lui-même photographe amateur, approche des artistes dont il apprécie le travail, qui peuvent alors choisir l’espace qu’ils aimeraient occuper avec leurs images. Et, à nouveau, la sauce a pris. Ce qui est dû en grande partie à l’ambiance incomparable de ces vieilles maisons modestes, dont les murs gardent les traces de leurs occupants (cette propriétaire-ci était artiste-peintre à ses heures, des bords de poussière indiquent encore leur accrochage dense dans le couloir). Des portraits intimistes en petit format de l’actrice Vicky Krieps par sa sœur Anna, en passant par les compositions autour du jaune de Mike Zenari dans la cuisine jusqu’à l’ambiance sacrale d’Eric Chenal au grenier, on y découvrit neuf photographes avec neuf recherches visuelles très disparates. Avec, sans hésitation, un coup de cœur spécial pour ces portraits très touchants de femmes résilientes par Jeanine Unsen.
À 2,5 kilomètres de là, rue du Curé dans une ancienne boulangerie, Vincent Crapon et Stilbé Schroeder, deux jeunes curateurs qui forment la plateforme expérimentale Podium, organisent en parallèle et pour ce seul week-end aussi, Cherry Pickers, une première exposition de groupe alternative qui veut « donner une impulsion à l’énergie qu’il y a entre les institutions ». Des institutions qu’ils connaissent bien, puisque le premier était assistant aux curateurs au Mudam et la deuxième est toujours curatrice au Casino Luxembourg. Grâce à leur excellent réseau d’amis artistes, ils ont réussi à réunir une sélection d’œuvres de petit et moyen format d’une quarantaine de créateurs nationaux et internationaux, installés dans un parcours pertinent au rez-de-chaussée (ancien espace de vente), dans les escaliers et dans la cave aux carrelages blancs. Des céramiques de Claire Décet, les anneaux de piercing surdimensionnés ornant les murs d’Aline Bouvy, un film de Sophie Jung, un élément sculptural d’Eric Schumacher… tout ici fait sens et donne à l’ensemble un air de capitale européenne (des trucs posés par terre ou contre les murs, des photos, des peintures à message..). On a surtout apprécié l’absence de ces graffitis agressifs qui s’imposent dans tous les projets du collectif Cueva à Esch. (Merci pour ça.) On en redemande.