Les métaphores littéraires collent parfaitement à cette deuxième édition de 1+1, l’exposition d’été organisée conjointement par le Fonds Kirchberg et le Casino-Luxembourg – Forum d’art contemporain, au Parc Central, sur le Plateau de Kirchberg, à partir de ce dimanche, 23 juin. Comme le héros d’Italo Calvino, le Baron perché, qui un jour décida de ne plus descendre de son arbre, ou l’écrivain Julio Cortazar et sa compagne Caroll Dunlop, qui firent le voyage Paris-Côte d’Azur dans leur camping-car sans jamais quitter l’autoroute, Alex Schweder, Ward Shelley, Matthew Brown et Clemens Klein vivront au-dessus du labyrinthe végétal vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans jamais descendre, et ce, durant une dizaine de jours.
L’exposition d’été au Parc Central commencera après la parade militaire de la Fête nationale et illustrera pour le coup – car c’est une performance – son exact contraire : timing millimétré et pas cadencé des militaires. Schweder et Shelley citent, pour parler de leur conception, l’architecte de la Russie révolutionnaire El Lissitzky, auteur de la célébrissime tribune pour Lénine (1920) : « Notre architecture tourne, nage, vole. Nous nous approchons de la suspension en l’air et d’un balancement semblable à celui du pendule », pour définir leurs performances architecturales. Ils utilisent aussi l’image du « voyage vers l’inconnu », tels les navigateurs de l’époque des grandes découvertes maritimes et en particulier le Portuguais Magellan, qui mit trois ans (1519-1522), pour effectuer le premier tour du globe…
Si Slow Teleport, tel est le titre de la deuxième édition de 1+1 ne durera qu’une dizaine de jour, les « garde-manger » (on y reviendra plus loin) resteront en place tel les « traces » du passage de Schweder et Shelley jusqu’en septembre. Ceci illustre parfaitement l’idée de départ d’animation du Parc Central et de découverte d’un de ses espaces… inconnu1. Ce fut tout d’abord l’installation de l’escalier Dendrite, fleur jaune de l’artiste canadien Michel De Broin, avec ses trois pétales en balcon, qui permettent depuis 2016, pour qui s’aventure à la recherche du bon chemin pour l’atteindre entre les hautes haies, de découvrir ce labyrinthe végétal caché. Mais l’art dans l’espace public, qui certes peut satisfaire l’œil au plan esthétique ou comme ici servir de point haut de découverte, n’est pas synonyme d’animation.
En 2017 eut donc lieu la première édition de 1+1, titre du partenariat inauguré entre le Fonds Kirchberg et le Casino Luxembourg, pour instaurer une installation éphémère l’été tous les deux ans : cette année donc, 1, l’escalier-fleur de Michel de Broin + 1, égal l’installation Slow Teleports, par Alex Schweder (architecte de formation) et Ward Shelley (artiste), des « architectes performeurs », comme ils se qualifient eux-mêmes depuis leur travail en commun débuté en 2005, lors d’une rencontre à Rome (tous deux vivent à New-York).
On se souvient que le duo d’artistes luxembourgeois Wennig & Daubach avait imaginé une déambulation sur les chemins entre les haies, de panneau signalétique en panneau signalétique, pour découvrir le sens parfois imprévu des mots composés de Recto Verso. Un jeu littéraire, dont la version livre Ping Pong vient d’être récompensée dans la catégorie Editorial Design des Design Awards 2019.
On a rencontré Alex Schweder et Ward Shelley durant leur résidence (organisée par le Casino-Luxembourg), à l’atelier-dépôt des Ponts et Chaussées et du Fonds Kirchberg, derrière le Parc du Klosegrënnchen. Dans ce lieu excentré, éloigné des regards indiscrets, l’équipe était en train de travailler sur ce qui sera leur « boîte à outils », « l’objet mystérieux », qui s’ouvrira le 23 juin à midi et d’où sortiront les quatre acteurs de la performance, vêtus de leur combinaison rouge, pour commencer leur itinérance au-dessus du Labyrinthe.
Mais c’est dès ce vendredi 21, que l’on pourra voir s’ériger dix éléments essentiels – un onzième sera installé aux abords du Casino, boulevard Roosevelt, au départ du Pont Adolphe, où les « citadins » pourront suivre la performance filmée – ainsi que sur deux écrans géants au Kirchberg : l’un installé avenue Kennedy et le deuxième, Place de l’Europe. Ces « perchoirs », sont en fait les garde-manger, que les performeurs devront atteindre chaque jour en construisant le bout de passerelle avec les éléments transportés et assemblés depuis la « boîte à outils » pour atteindre ces « kits de survie » contenant eau et nourriture.
Que feront Alex Schweder, Ward Shelley, Matthew Brown et Clemens Klein le reste du temps ? Ils vivront, au fur et à mesure de leur progression, sur un des trois campements de base (ou îlot, pour reprendre le terme d’exploration maritime), y dormiront la nuit et espèrent-ils, y converseront le jour, avec leurs visiteurs. « Où allez-vous aux toilettes ?, comment vous lavez-vous ?, « de quoi vous nourrissez-vous ? «, sont, selon leurs dires, les questions souvent posées (on peut citer une expérience similaire, The NewComers, menée à New York en 2017). Certes triviales, ce sont des questions basiques du quotidien de ce à quoi le Fonds Kirchberg s’attèlera les années à venir : construire des habitations… La performance Slow Teleport elle, s’achèvera par le démontage de l’installation et son remontage en « boîte à outils » des architectes performeurs, début juillet.