Il y a de l’espace au Wandhaff, en l’occurrence du vide à l’intérieur de la halle, de la succession des vastes salles. Il y a les murs, les cimaises, des mètres et des mètres, des dizaines. L’espace, le vide, c’est pour l’accueil des sculptures, monumentales, qui y trouvent de quoi créer leur propre lieu, comme préservé autour. Et les murs offrent la possibilité aux papiers, dessins, collages, gravures, de s’aligner les unes à côté des autres, des séries se forment de la sorte, avec leurs traces de la ligne dont Bernar Venet dit ailleurs qu’elles sont comme la mémoire tangible du geste pictural. Et comme pour contredire leur auteur sur un autre point, qui voulait voir dans les années soixante dans le noir une sorte de rejet de la communication facile, si elle ne l’est certes pas non plus aujourd’hui, la communication cependant n’a pas de peine à s’établir, tant l’entraînement des lignes est fort.
La halle du Wandhaff, de la galerie Ceysson & Bénétière, s’avère l’endroit idéal pour réunir les sculptures et les papiers de Bernar Venet. Lui n’est pas un inconnu dans le pays, et quel que soit le moyen de locomotion avenue de la Liberté, devant le bâtiment de l’Arbed, si les conditions du moment sont exécrables, deux œuvres retiennent quand même. Et donnent dans une certaine pureté deux des constantes de la manière de l’artistes, les angles, les arcs.
Au Wandhaff, pour les sculptures, c’est en contraste un côté plus baroque qui saisit, le plus sans doute dans Indeterminate Line, de 2007, tournoyant (c’est le cas de le dire) autour de 2,5 à trois mètres. Ailleurs, les lignes s’enroulent plus régulièrement, s’entassent dans les mêmes dimensions. Ou alors les arcs en acier corten se suivent, font comme une carcasse d’animal géant, voire une armature de navire. Cela avec une indication précise de la mesure en degrés, pour nous rappeler l’engouement mathématicien de Bernar Venet.
Il est donc ces enroulements, ces bouts d’acier qui poussent, ils peuvent se dresser comme pour faire ce qui se rapproche d’une tente, multipliée, dans un impressionnant ensemble d’angles inégaux, expression comme si souvent de cette tension qui porte l’art de Bernar Venet, dialectique non résolue (et d’autant plus passionnante) de l’ordre et du désordre. Telle elle est encore dans les Effondrements où l’exposition, entre autres, réserve trois exemplaires de moindre dimension, allant pourtant pour l’un au-delà du mètre, très variés, les arcs présentant plus d’équilibre, les angles tout logiquement un caractère plus agressif. Au repos des uns s’oppose la hargne des autres.
Tout cela se retrouve, réduit aux murs, dans les papiers, où l’on est particulièrement séduit par les effets du bâton à l’huile, du crayon gras, du graphite. Cela dit, à côté de la vigueur du matériau rencontré autour, avec leur finesse propre. Et les deux font qu’il n’est aucun mal pour le regard de prolonger et de donner au dessin la profondeur qu’il suggère.
On connaît trop les sculptures de Bernar Venet pour ne pas savoir combien elles s’approprient toutes sortes d’environnements. Il y a des années déjà, ses arcs encadraient le Roi-Soleil à Versailles ; placés à l’extérieur des grilles d’entrée, sur la place d’armes, ils enchâssaient sa statue équestre. Mais le plus grand arc dans l’œuvre de Bernar Venet est à venir, bien que projeté dès les années 80. Prévu au départ pour l’A6, en Bourgogne, passé ensuite en Moselle, à l’A31, près de Thionville, il n’a pas été réalisé dans les deux cas ; il le sera, de l’autre côté du Luxembourg, sur l’A4, en Belgique, près de Rochefort : arc de 205,5°, pesant 200 tonnes et faisant 60 mètres de hauteur, la sculpture sera inaugurée en octobre prochain. Et sur le chemin de Namur, elle fera portail monumental ouvert aux automobilistes.
À l’opposé de pareil gigantisme minimaliste, il faut inviter à la visite, lors de tout séjour dans le sud de la France, de la Fondation, à Muy, dans le Var, et surtout de la chapelle, à Château-Arnoux, lieu de naissance de Bernar Venet, dans les Alpes de Haute-Provence. Ce que l’art moderne ou contemporain peut faire de plus prenant, pour le croyant ou le non-croyant, avec les réussites de Buraglio (à Saint-Germain-des-Prés) et Uecker (au Bundestag). Pour Bernar Venet, pour la chapelle Saint Jean-Baptiste, la mémoire reste gravée à jamais des vitraux blancs dépolis avec leur calligraphie noire, de la croix appuyée obliquement au mur de l’abside semi-circulaire.