Les climatosceptiques adorent se saisir des divergences qui émergent parfois entre climatologues comme autant de preuves, selon eux, que l’incertitude continue de régner dans leur discipline. Il n’en est rien, évidemment : le socle des connaissances sur le climat terrestre est solide et le consensus qui règne parmi ces scientifiques est unanime sur l’urgence d’arrêter les énergies fossiles. Mais le désaccord qui s’est fait jour ces dernières semaines au sein de la discipline quant à l’existence ou non d’une accélération du changement climatique confronte les adeptes du déni à un choix entre Charybde et Scylla.
À ma gauche, âgé de 82 ans, James Hansen est sans doute un des climatologues les plus connus. Il a été le premier, en 1988, alors qu’il travaillait à la Nasa, à témoigner devant le Sénat américain de la grave crise en gestation du fait des gaz à effet de serre émis par l’homme. Aujourd’hui chercheur à l’université de Columbia, il vient de publier une analyse remarquée, en train d’être évaluée par des pairs, qui suggère que qu’une accélération se fait sentir. Selon Hansen et ses collègues, même si les mesures faites à ce jour confirment de manière éclatante le bien-fondé d’une des bases de la science climatique, celui d’une relation linéaire entre la proportion de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère et la température qui s’y établit, cette accélération résulte d’une réduction des aérosols produits par l’homme dans l’atmosphère et est détectable dans les données recueillies depuis 2010.
À ma droite, Michael Mann, de l’université de Pennsylvanie, chercheur émérite qui a notamment à son actif, grâce à une reconstitution des climats du passé, la conceptualisation de la fameuse « crosse de hockey » illustrant la forte hausse récente des températures mondiales, est lui aussi un habitué du Capitole. Au Monde, il a déclaré il y a quelques jours que « nous ne sommes pas encore près d’une quelconque réaction d’emballement et rien ne prouve que des points de non-retour aient été franchis ». S’il reconnaît que beaucoup des impacts du réchauffement interviennent plus vite et plus fort que ce que les scientifiques prévoyaient, il dit penser que son ami James « se trompe lorsqu’il affirme qu’il existe des preuves de l’accélération ». Mann s’inquiète que des annonces apocalyptiques démotivent et sapent les efforts de décarbonation engagés, même s’ils sont insuffisants. Car il reste, insiste-t-il, que « le réchauffement s’arrêtera très rapidement après que les émissions seront devenues nulles ».
Dans la mythologie grecque, Charybde et Scylla sont les deux monstres marins qui gardent le détroit de Messine. À l’ouest de ce détroit, la Sicile à vécu ces derniers jours des températures record de 47 degrés, forçant la fermeture momentanée de l’aéroport de Palerme. S’il y a désaccord entre climatologues, ce n’est certainement pas sur l’acuité de la crise.