Il faut, encore et encore, énoncer la nécessité du sursaut. Il faut, sans faiblir, égrener l’exténuante liste des cataclysmes qui guettent l’ensemble des êtres vivants du fait des pratiques destructrices d’une seule espèce, la nôtre. « It’s warming. It’s bad. It’s us. We’re sure. We can fix it », tel est le résumé lapidaire de la situation qu’avancent des climatologues désespérés que leur message reste ignoré (certains y ajoutant, pour couper court par avance à toute complaisance, l’astérisque « but we better do it fast »).
La litanie des signes incandescents du réchauffement déjà atteint et des risques apocalyptiques qu’il implique est lancinante. Nous pourrions passer la limite du degré et demi fixée en 2015 dès trois ou quatre ans. L’observatoire de Mauna Loa annonce cette semaine une concentration de CO2 dans l’atmosphère de 424,61 parts par million, contre 280 environ il y a deux siècles. Insensibles aux avancées des énergies renouvelables dont nous aimons nous gargariser, les émissions d’origine humaine de gaz carbonique ont continué d’augmenter ces dernières années : selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (IEA) relatifs à la production d’énergie et l’industrie, elles ont atteint 36,8 gigatonnes l’an dernier, contre une vingtaine en 1990 et une trentaine en 2006.
Dire que nous sommes sur une trajectoire vertueuse relève donc du mensonge ; minimiser les conséquences déjà constatées ou prévisibles en matière d’extrêmes climatiques (sécheresses, inondations, tempêtes tropicales dopées aux océans surchauffés…), de fonte des glaces, de montée des eaux ou d’effondrement des rendements agricole, de l’aveuglement impardonnable. Sans compter, tapis dans les recoins, les points de bascule et d’emballement, comme celui du permafrost et de la possible explosion des émissions de méthane que sa fonte risque d’entraîner, ou la perte de l’effet d’albédo, le pouvoir réfléchissant des masses océaniques couvertes de neige, pour n’en citer que deux.
Pour faire bonne mesure, les impacts des pratiques prédatrices de notre modèle économique dominant ne se limitent pas au réchauffement : l’acidification des océans risque d’entraîner un effondrement du vivant, tout comme l’usage inconsidéré et permanent de produits chimiques et de plastiques. Sans parler de l’arrière-fond profondément injuste des inégalités que creuse ce modèle, avec pour résultat une exposition aggravée des plus défavorisés aux impacts de cette polycrise.
Que faire dans cette marmite de plus en plus chaude et empoisonnée, où les avertissements des scientifiques s’effilochent et les appels à une révolte du vivant sont taxés d’alarmistes ? Il faut, patiemment et imperturbablement, remémorer les faits, imposer la prise en compte de l’urgence, dénoncer les menées et la responsabilité de ceux qui la nient, co-concevoir des trajectoires de sortie de crise. … À l’objection du disque rayé et de la lassitude face aux oiseaux de mauvais augure, opposons la richesse du vivant, le droit des enfants à une vie digne et l’irremplaçable soulagement que procureraient à tous des perspectives raisonnables de survie.