La notion de post-croissance, voire de décroissance, a pris ses quartiers cette semaine au Parlement européen lors d’une conférence de trois jours, « Beyond Growth », organisée par vingt membres de l’assemblée. Présidée par le Vert belge Philippe Lamberts, entouré de quatorze députés des verts, de la gauche et socialistes, mais aussi de cinq députés libéraux et conservateurs et d’un non-inscrit, la conférence se proposait de « discuter et de co-créer des politiques pour une prospérité soutenable en Europe » pour « s’écarter du focus nocif sur la seule croissance économique ».
Plutôt que de se contenter de dénoncer l’obsession de la croissance du PIB, le propos de la conférence était d’identifier des politiques et indicateurs alternatifs, compatibles avec les limites planétaires, ainsi que les narrations et structures de gouvernance susceptibles de les porter. Parmi les orateurs, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, la coprésidente du Club of Rome Sandrine Dixson, l’anthropologiste-économiste spécialiste des inégalités Jason Hickel ou l’activiste de Youth for Climate Adelaïde Charlier. L’inventrice de la doughnut economy Kate Raworth et l’économiste champion de la décroissance Tim Parrique ont participé à des panels.
Certes, ce beau monde est loin d’avoir parlé d’une seule voix. Ursula von der Leyen s’est gardée de reprendre à son compte les critiques souvent radicales de la croissance mises en avant par les autres intervenants, se contentant d’avancer qu’« un modèle de croissance centré sur les énergies fossiles est simplement obsolète » et vantant par ailleurs les vertus de l’économie sociale de marché.
Il n’en reste pas moins que le fait que les logos des groupes Renew et EPP figuraient derrière les orateurs comme co-sponsors de la conférence est un signe qui ne trompe pas. Comme l’a fait remarquer Philippe Lamberts, une participation aussi œcuménique aurait encore été inimaginable il y a cinq ans lors de sa première édition. Incontestablement, à mesure que l’acuité des crises du climat et de la biodiversité, et l’insupportable aggravation des injustices qu’elles entraînent, pénètrent les esprits, elles finissent aussi par décaler la fenêtre d’Overton. Du nom du lobbyiste conservateur américain qui l’a conçue pour identifier les politiques publiques acceptables, cette image sert à circonscrire ce qui, dans une société donnée et sur l’ensemble du spectre politique, est considéré comme radical, acceptable, raisonnable ou populaire (« dicible ») à l’exclusion des idées « impensables », qui restent elles strictement confinées aux franges et exclues des discours politiques s’adressant au grand public.
Il est rafraîchissant de constater que remettre en question le dogme de la croissance soit, enfin, devenu acceptable. Ce qui était encore impensable il y a quelques années, quand la progression du PIB était le remède universel à tous les maux de la société, l’alpha et l’oméga de tout raisonnement économique, est bel et bien entré à l’intérieur de la fenêtre d’Overton sur le continent européen.