L’écodictature est-elle la seule solution qui reste à l’humanité pour résoudre le casse-tête de la décarbonation ? Ceux qui avancent l’idée qu’un régime autoritaire imposant, au nom du bien commun, des mesures drastiques de sauvetage climatique serait aujourd’hui indispensable sont de plus en plus nombreux et se recrutent parfois dans des milieux a priori peu suspects de sympathies pour le despotisme. La démocratie échoue, disent-ils en substance, il faut des leaders éclairés qui aient le courage de mettre entre parenthèses les processus politiques des pays occidentaux et leurs lenteurs pour sortir résolument de l’ère des énergies fossiles.
Ces raisonnements, sans doute séduisants du fait de leur simplicité, sont erronés. Ils supposent que nos régimes de démocratie représentative constituent le parangon d’une gouvernance où, malgré leurs imperfections, le peuple gouverne. La réalité est tout autre : la grille néolibérale a accouché de structures au mieux oligarchiques, au pire kleptocratiques, presque toujours ploutocratiques (où le pouvoir réside dans la fortune), qui servent des minorités capables de modeler et de détourner la volonté populaire à leur profit et de poursuivre la folie thermo-industrielle tout en creusant les inégalités et en asseyant leur mainmise.
L’obstacle central à l’action climatique est l’absence d’une traduction efficace de la volonté citoyenne, dont l’objectif est, quoiqu’on en dise, notre survie collective plutôt que l’aveugle quête d’une croissance infinie. Lorsqu’à droite, les ennemis de la décarbonation reprochent aux écologistes et aux partis de gauche de vouloir imposer celle-ci à coup d’interdictions, une façon pas si subtile de les taxer d’écodictateurs, loin d’entrer dans cette logique de dupes, ceux qui s’engagent pour le climat doivent rétorquer qu’il s’agit, au contraire, de remettre au premier plan la volonté populaire. Les mécanismes de participation citoyenne, avec budgets participatifs et prises de décision collective, parmi les méthodes déjà testées, et d’autres qui restent à inventer et à parfaire, présentent des perspectives bien meilleures de mettre en œuvre une transition écologique rapide que les atermoiements de nos structures de démocratie représentative gangrenées.
Comme le note Hervé Kempf, fondateur du journal en ligne Reporterre, dans son livre L’Oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, la notion d’oligarchie souffre d’un déficit analytique. Celui-ci commence par la bizarrerie que l’on s’est habitué à penser que seuls les ultra-riches russes sont des oligarques. Une autre difficulté conceptuelle est l’ambiguïté qui règne entre le groupe des ultra-riches, les oligarques donc, et le régime politique, l’oligarchie, dans lesquels les premiers ont habilement mis en coupe réglée la société suivant un modèle qui les favorise tout en convainquant tout un chacun qu’il s’agit toujours de la bonne vieille démocratie des Trente Glorieuses. Nous ne sommes pas (encore) en dictature, mais plus en démocratie non plus car nous nous nous éloignons à vue d’œil d’un gouvernement par le peuple pour le peuple. Pour nous sevrer des énergies fossiles, ne comptons pas sur les oligarques... et encore moins sur la dictature.