Lundi 20 mars, le GIEC publiait son sixième rapport de synthèse et sonnait l’alerte de manière univoque sur l’urgence d’un changement de cap à l’échelle planétaire. Son résumé, le fameux « Summary for Policy Makers », a été formellement approuvé par les représentants de ses 195 États membres. Pourtant, une semaine plus tard, il a pratiquement disparu des unes. Même les affaires qui ont trait à la crise climatique, comme les tiraillements au sein de l’Union européenne sur l’interdiction des moteurs à explosion après 2035, provoqués pernicieusement par des libéraux allemands presqu’ouvertement climato-sceptiques, sont traitées comme si l’humanité avait tout le temps du monde et que la survie des constructeurs automobiles fût plus importante que celle de l’humanité. À Sainte-Soline, des citoyens se battent contre des projets d’irrigation conçus pour perpétuer un modèle agricole productiviste intenable, mais rarissimes sont les médias qui relient leur mobilisation à l’acuité du problème telle que vient de l’exposer le GIEC.
Le message des scientifiques est de plus en plus clair, de plus en plus alarmant. L’inaction, si elle a pu être présentée par le passé comme une négligence, est désormais criminelle. Une majorité écrasante de médias continue pour autant de gérer leur grille de lecture de l’actualité à la papa. Une nouvelle chasse l’autre, les rédactions gérant à la petite semaine une douteuse économie de l’attention. En l’absence d’une hiérarchie intrinsèque des items appelés à peupler les unes, elles continuent de souscrire à une approche de l’information-marchandise qui relève, en dernière analyse, de l’infotainment. Si ceux qui chroniquent le devenir de l’espèce humaine peuvent avec une telle légèreté sauter du primordial au futile, mettre en exergue un jour la crise climatique pour le lendemain faire leurs choux gras du foot et des célébrités, il ne faut pas s’étonner que les politiques puissent, sans risque de retour de bâton, remettre aux calendes grecques les mesures radicales qui s’imposent.
Les lecteurs se lassent, on ne peut pas éternellement leur resservir la même histoire, déprimante qui plus est, se justifient ceux parmi les journalistes qui sont conscients que leur refus d’adopter une hiérarchie de l’information en phase avec la gravité de la situation contribue à la procrastination générale. Ce n’est donc qu’un questionnement plus fondamental de leur rôle dans la société, de la place de leur média dans la formation de l’opinion et dans l’économie, qui est susceptible de changer la donne. Certes, leur dépendance croissante à l’égard de la publicité et la montée à leur capital de milliardaires conservateurs n’arrangent rien. Pour autant, les raconteurs du quotidien ne peuvent plus se contenter de sténographier notre descente aux enfers en respectant des « chemins de fer » hérités du passé. Ils se doivent de collectivement bouleverser leurs grilles, quitte s’il le faut à renverser la table de leurs conférences de rédaction.