« My oil », a dit Yoweri Museveni, le président ougandais, en parlant des réserves pétrolières découvertes en 2006 sous le lac Albert, histoire de couper court par avance à toutes critiques quant à son intention de les exploiter. Cette façon décomplexée de s’approprier à titre personnel des gisements d’hydrocarbures est un bon résumé de la façon dont la notion de souveraineté est couramment dévoyée pour écarter toutes objections contre de tels projets climaticides. Or, tant que ce genre d’argument est considéré comme légitime, toute tentative d’agir sur l’offre d’énergies fossiles semble vouée à l’échec. Ne reste alors que l’intervention sur la demande, en promouvant les énergies renouvelables et en électrifiant tout ce qui peut l’être. Un détour qui prendrait beaucoup trop de temps.
Comment dès lors battre en brèche la démarche de ceux qui, de l’Ouganda au Brésil, des États-Unis à l’Arabie saoudite, de la Russie au Venezuela, s’appuient sans vergogne sur cette notion de souveraineté nationale pour ignorer ceux qui plaident pour une cessation de l’exploitation pétrolière, gazière et charbonnière ? La campagne « Leave it in the ground », si elle a le mérite de proposer un slogan clair, se résume malheureusement à cela et se heurte aux calculs froids de realpolitik. La perspective de faire de l’écocide un crime punissable en droit international au même titre que le génocide ou le crime contre l’humanité semble plus susceptible de changer la donne, mais on est en droit de douter de l’impact de cette menace sur les autocrates, qui comme par hasard sont particulièrement nombreux dans les pays dans lesquels les énergies fossiles représentent une part élevée du PIB. Une autre initiative, celle en faveur d’un traité de non-prolifération fossile, à l’image de celui adopté pour empêcher la généralisation des armes nucléaires, a de quoi fournir un soubassement juridique fort opposable à ceux déterminés à frire la planète sans scrupules.
Le point commun de ces efforts est qu’ils entendent établir en droit international la notion de souveraineté climatique. Le droit de disposer d’un lieu de vie habitable faisant partie des droits humains fondamentaux, il est logique d’en dériver que chaque individu doive disposer de la fraction d’un droit de regard sur toute action, même si elle est menée dans un autre pays que le sien, qui menace ce droit. Chaque membre de la collectivité humaine devrait donc pouvoir, au nom de cette souveraineté de survie, agir en justice contre des projets tels que Tilenga et EACOP, menés par les compagnies pétrolières Total et CNOOC en Ouganda et Tanzanie. Plutôt que de chercher à effacer la notion de souveraineté, même si elle aujourd’hui plus souvent utilisée dans un contexte national et dans un sens contraire à nos perspectives de survie, mieux vaut chercher à s’emparer de son potentiel pour l’appliquer au défi climatique.